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Hans Werner Henze – Les « Six Lieder de Vieillesse »

est l'une des personnalités les plus fascinantes de la composition contemporaine. Curieux et pléthorique, il a tâté de tous les genres d'écriture sans jamais s'attacher à une quelconque école (dodécaphonique ou tonale, par exemple).

En outre, sa forte implication dans la pensée politique des années 60-70 (comme Abbado, du reste) contribue à rendre sa volumineuse création difficilement classable. Suffisamment éclectique pour mêler néo-classicisme et sérialisme (Concerto pour Violon, 1947) ou adapter librement Il Ritorno d'Ulisse in Patria (1981), il n'hésite pas à rédiger lui-même des textes de lieder. Pour preuve, ces Six Chants de l'Arabe (1999), dont voici le premier enregistrement mondial, spécialement dédiés à et .

Originale démarche du poète – dont la plume est magnifique -, qui conserve malgré tout douze vers de Rückert (d'après Hafiz) et six de Goethe (La Nuit de Walpurgis), sur un total de plus de cent quatre-vingts. Le titre du recueil – un cycle, en fait – fait allusion à des visions (au sens que Rimbaud donnait à ce nom) de Selim et Fatuma sur une côte de l'Afrique, peuplées de fantasmes oniriques. Orientalisme guère nouveau dans notre culture d'ailleurs ; la fascination-répulsion envers le monde arabe remontant, pour le moins, aux Croisades !

Le parti-pris du compositeur est bien plus neuf, lui. Une conception de la mélodie sui generis ; la musique étant à la fois première (car pensée, sinon écrite, avant même une seule parole) ; et seconde : chaque accord ou presque, reflétant chaque terme du récit… certes pas une esthétique « globalisante » de l'affect musical. Scansion incantatoire, morcellement des idées mélodiques ne peuvent qu'en surgir. Henze ne se prive pas de très grandes difficultés techniques ; dont une tessiture tendue, éprouvante, tout comme dans les Sieben frühe Lieder de Berg… avec une inspiration (Hafiz) commune à Karol Szymanovsky, sans son mâle érotisme.

Il évite cependant, dans la mesure du possible, de solliciter par trop l'aigu de Bostridge, dont on sait qu'il a facilement tendance à blanchir. Et c'est précisément dans le médium et le grave que l'Anglais accomplit des miracles. Peut-être, aucun de ses Bach (Virgin) ou Schubert (EMI) n'a-t-il mis autant en valeur son velours ; assurément plus catafalque que baldaquin, mais : le sien en propre, crépusculaire et troublant. Esotérique à souhait : une manière de Quint (Le Tour d'Ecrou) en mélodie – rôle que l'artiste a par ailleurs interprété.

De ce gosier jaillissent, dans un allemand parfait, de bien beaux mélismes orientalisants, tel Aladin de la lampe merveilleuse ; tandis que son compère Juilius Drake ne s'économise guère : ce n'est plus de l'accompagnement, mais une fusion dans un microcosmos henzien totalement original ! Wystan Hugh Auden, poète qui servit Britten, offrit en 1991 à Henze l'inspiration de trois chants, interprétés par… Bostridge à Aldeburgh en 1996 ; occasion à laquelle le musicien rencontra le chanteur.

Admirables miniatures, dont l'une par son titre fait – encore – explicitement référence à Rimbaud ; et où le miel très ambré du ténor le dispute au toucher argentin du pianiste. Ces neuf plages ensemble constituent, tout de go, l'un des plus excitants disques de lieder et autres songs enregistrés ces dernières années – dont l'écoute en boucle est vivement recommandée. C'est, également, un très beau cadeau offert par un « major » à un prolifique et génial compositeur vivant ; et à la musique d'aujourd'hui en général.

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