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Suren Shahi-Djanyan donne trop peu de Lavoix

Très belle présentation, notice narcissique ; pas de traduction française, ni même de texte original des mélodies.

Ah !!! « Une soirée chez les Jacquin »… Rappelez-vous, en 1999, le lancement de Zig Zag Territoires n'avait pas manqué, à juste titre, de stimuler les amateurs de labels francs-tireurs et indépendants. Le parcours de la marque française depuis parle d'ailleurs en sa faveur. Le récent Janacek (Quatuors, par les Belcea, encore un bon cru du Concours de Bordeaux !) n'a pas volé sa pluie de macarons, d'autant qu'on a encore dans l'oreille le prodige réalisé par les Prazak, dans la même doublette, chez Praga. On montrera donc la plus extrême indulgence envers ce qu'il est permis de considérer comme un ratage de grand luxe…

Quid des mélodies de  ? Un univers pléthorique intimiste, mélancolique plus que sentimentaliste, mais à la palette d'affects bien limitée ; et corsetée – il le fallait bien à cette époque dans toutes les Russies – par la tenue très ajustée de la mélodie de salon… Au moins pour ce qui concerne ce disque (« Romances ») ; ce genre n'a rien de déshonorant, du reste. Le tout est d'y mettre beaucoup de talent, d'espièglerie, de variété, de feinte nostalgie ; et de couleur, comme par exemple Anne-Sofie von Otter chez Meyerbeer et Spohr (Archiv) l'an dernier.

Si en son temps Julia Varady grava quelques-unes de ces jolies perles de culture que Rachmaninov, homme de goût pourtant, jugeait admirables ; la plupart des grands spécialistes du Lied et de la Mélodie s'en sont globalement dispensés : on ne leur en tiendra pas trop rigueur. A la différence en effet des pièces pour piano, et pas seulement Les Saisons, qui, presque toutes, sont des chefs d'œuvre hélas beaucoup trop peu joués, ces ariettes restent des caramels, fussent-ils amers, qu'on suce dans les boudoirs, à la vesprée.

Amers ? Encore faut-il qu'on confie la bonbonnière à des maîtres confiseurs ! Cette longue compilation – qui n'est pas vraiment un parangon de variété et de contrastes – a été déléguée à une pianiste efficace mais sans imagination (alors que c'est justement l'accompagnement le plus passionnant, et de loin, ici). Claude Lavoix expédie tous les traits de la même façon, sans rechercher la moindre petite touche d'individualité. On lui eût été reconnaissant de manifester un peu moins un aussi évident ennui de sa part.

Dommage : il n'est pas possible qu'il n'existe pas au moins une trouvaille dans ce sentier hélas non broussailleux ! Plus raffiné dans le détail est Suren Shahi-Djanyan. Très belle basse arménienne, d'à peine trente ans, qui n'est pas sans évoquer, sous maints aspects, Denis Sedov. Pour le meilleur et pour le pire. Le pire : la voix occipitale slave, à la Christoff, un grand handicap en vérité pour l'oreille occidentale. Le meilleur : un timbre magnifique, une propension élevée à la nuance (enfin !) qui semblent provenir d'un au-delà de la mélodie elle-même : rappelons que nous ne disposons d'aucun texte – grand merci à l'éditeur…

A son actif également, une aisance hallucinante dans le grave, à rendre jaloux Martti Talvela ! Voilà du bois dont on fait les Osmin, les Grémine, les Guardiano et les Rois Marke. Le garçon est très jeune, et les difficultés, encore perceptibles, à ourler et raffiner un médium au velours fort beau, devraient s'adoucir avec le travail et le temps.

On regrette d'autant plus de juger au final ce disque presqu'inutile dans l'ensemble (malgré une volonté philologique à applaudir)  ; qu'on est un grand admirateur de Tchaïkovsky en général. Et que quelques-unes de ces pages, plutôt que l'univers petit-bourgeois, plat et sans intérêt – en un mot banal – des hobereaux russes, évoquent les sublimes sortilèges (sans antidote : « alciniens », alla Haendel) de la Dame de Pique.

Un joli coup pour rien, quand la justice rendue au complexe corpus tchaïkovskien aurait pu sourdre à quelque coin de partition, même faible ; et qu'en matière de luxe ne subsiste qu'une autosatisfaction éditoriale sur papier glacé – citation de Jean Genêt à l'appui ! Lui, le moins salonnard des écrivains, qui ne détestait rien tant que le monde des codes et convenances… ne lui cherchons pas Querelle !

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