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Capella de Turchini

Avec son ensemble, la Capella de Turchini, effectue, depuis sa création en 1987, un remarquable travail de recherche et de redécouverte des chefs-d'œuvre du baroque napolitain des XVIIe et XVIIIe siècles.

Très diversifié et contrasté, tant par le choix des interprètes que des styles, le programme de ce concert, dans l'ensemble plutôt joyeux et comique, offrait cependant, en ouverture, une place à un genre plus sérieux, avec la cantate de désespoir amoureux, « Triste Ausente », de

Ce genre, qui sera certes, développé plus tard avec plus de brillant et d'inventivité par G. F. Haendel, propose déjà une structure musicale en trois parties : exposition-lamentation, récitatif central de fureur et de désespoir, air de bravoure avec vocalises vertigineuses. Cette cantate, très difficile, fut brillamment interprétée par la soprano , au timbre frais, fruité et à l'impeccable technique.

L'œuvre suivante est d'une veine nettement plus burlesque, avec « Graziello et Nella », où, comme pour beaucoup d'œuvres de l'époque baroque, l'adéquation de la voix au sexe des personnages n'a qu'une importance toute relative : ici, Graziello, un jeune garçon, est chanté par un soprano () alors que le rôle de la vieille Nella est tenu par un ténor, l'excellent Giuseppe de Vittorio, autant acteur que chanteur.

Dans ce morceau très divertissant, le caractère bouffe l'emporte très nettement sur la virtuosité : moins de pyrotechnie vocale, plus de comédie.

L'œuvre qui clôt la première partie, « Giove Piacevole nella Regia di Partenope » est une cantate commémorative pour l'amusement du Roi Ferdinand, créée en 1771. Piccini, musicien très en vogue à Naples et dans toute l'Italie, jouissait par ailleurs de la faveur du monarque et il était d'usage, en Espagne et à Naples, de célébrer en musique les événements importants pour la famille royale : naissances, anniversaires, mariages et victoires militaires.

Cette cantate met en scène Parthénope (Lucia Naviglio, au timbre chaud et ample), Mercure (Rosario Totaro, ténor à la voix très légère), et Jupiter (Giuseppe de Vittorio), en fait le rôle le plus important, vu de manière très prosaïque et comique. En fait, Jupiter, le Roi des Rois, c'est Ferdinand lui-même, et la belle Parthénope, c'est la ville de Naples, qu'il courtise assidûment. Pour plaire à ses habitants, il n'hésite pas à parler leur langue nationale. Cette allégorie tend à souligner l'effort du jeune Roi, désireux d'utiliser le napolitain comme langue officielle, et aussi sa volonté de dissiper le climat de suspiscion et d'austérité qui régnait pendant la Régence.

La partition, qui s'ouvre sur la belle Symphonie en sol avec cors et hautbois, est de facture plutôt savante, mais demeure cependant assez légère.

Niccolo Jomelli, très novateur en esthétique musicale, travaillait aussi bien pour l'église que pour l'opéra et avait lui aussi, avant Piccini, composé des cantates commémoratives.

« Don Trastullo », œuvre créée en 1751, est d'inspiration délibérément bouffonne, moins fréquente chez Jomelli. On y constate l'absence de personnages mythologiques et l'adhésion absolue au genre de l'intermède comique napolitain, incarné par la « Serva Padrona » de Pergolese (1733). « Don Trastullo » est une histoire typique de la commedia dell'arte : Arsania (soprano), femme de classe moyenne, décide, pour obtenir l'argent nécessaire à ses noces avec le Capitaine Giambarone (ténor) d'organiser une escroquerie au dépens du Comte – don Trastullo (baryton). Bien entendu, elle manipule le Capitaine, vantard, mais peureux, et le Comte, également vantard et peureux, et assez faussement cultivé et raffiné.

L'écriture musicale, très parodique, est une citation des techniques stylistiques de l'opera seria : fureur vengeresse, langueur, tristesse pathétique, sensualité, amour, et malgré la satire, elle est caractérisée par un grand raffinement.

On retrouve dans « Don Trastullo » (Arsania) Rosario Totaro (le capitaine) et on a le plaisir d'entendre un très bon baryton, Giuseppe Naviglio, dans le rôle du Comte.

Lors de la création, Mozart avait seize ans, et cette œuvre, qui connut un immense succès, fut jouée pendant quinze ans. On se prend à rêver qu'il l'ait entendue, car le monologue du ténor fait penser parfois aux airs du Podestat dans la « Finta Giardiniera ». Quant aux nombreux airs du Comte, certains accents sont comme un écho aux airs de Leporello, et la diatribe finale et vengeresse contre la perfidie féminine n'est pas sans rappeler l'air de Figaro dans les « Noces » : guardate queste femmine, guardate cosa son… et aussi pourquoi pas don Alfonso de Cosi ?

Un grand merci à d'avoir avec ce programme passionnant mis en lumière à quel point ce répertoire oublié a compté dans l'histoire de la musique. Sans lui, Mozart n'aurait peut-être pas aussi bien écrit certains de ses chefs d'œuvre, et Haendel, pas élaboré avec autant de panache et de génie l'étourdissante technique de son « bel canto ».

L'équipe est exemplaire de cohésion et d'équilibre : esprit de troupe, modestie, simplicité, parfaite écoute du chef par rapport aux chanteurs, et très belle sonorité de l'orchestre. Les voix ne sont peut-être pas exceptionnelles, sauf peut-être celle du baryton, mais elle sont bien menées, utilisées avec goût, humour, intelligence et également avec beaucoup de virtuosité et de professionnalisme. Visiblement, en plus, ces artistes s'amusent et nous amusent par la même occasion.

En ces temps où l'on reparle beaucoup de bel canto, il conviendrait peut-être à certaines stars hyper médiatisées d'aller regarder de plus près du côté de ce répertoire béni des dieux, véritable baume pour la voix, creuset absolu du bel canto, afin d'y puiser la précision, la justesse, la finesse, le savoir-faire, la poésie, l'humour et l'abattage, qui au cours de certaines expérience récentes, au disque comme au concert, semblent leur avoir cruellement fait défaut.

Crédit photographique : Roberta Invernizzi

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