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Les affinités électives de la Suède et de l’Europe centrale…

/ Nicolaj Znaider

Il en est des grands orchestres comme du reste : les meilleurs ne sont pas forcément ceux dont on parle le plus..

L'orchestre Royal Philharmonique de Stockholm, placé sous la baguette d', chef principal et directeur artistique de l'orchestre depuis le 1er janvier 2000, l'a démontré de manière éclatante, ce soir-là, à Pleyel…

Depuis sa fondation en 1902 – l'orchestre célèbre son centenaire cette année – cette phalange a travaillé avec de légendaires chefs invités tels qu'Arturo Toscanini, Bruno Walter, Wilhelm Fürtwangler, Pierre Monteux, Georg Solti, entre autres, et a eu comme directeurs artistiques des noms aussi prestigieux que Fritz Busch et Hans Schmidt-Issersted, pour ne citer que ceux-là. Après deux tournées aux Etats-Unis, il a acquis une réputation internationale sous la direction d'Antal Dorati (1966-1974). En 1974, Guennadi Rojdestvensky (1914-1977) lui succède et en 1979, l'orchestre est le premier de Suède à se rendre en ex-Union Soviétique, où il reçoit un accueil enthousiaste.

Parmi les chefs qui suivirent, figurent, entre autres, Andrew Davis et Paavo Järvi.

En 1998, alors que Stockholm est déclarée « Capitale Européenne de la Culture », l'orchestre est nommé « Ambassadeur de Suède ».

, chef américain né à New York, est par ailleurs un violoniste accompli et un ardent défenseur de la musique de chambre. Outre ses multiples activités de chef d'orchestre, il lui arrive fréquemment de se produire comme soliste au sein de différentes formations.

La tradition veut que, le 10 décembre de chaque année, l'orchestre se produise lors de la cérémonie du Prix Nobel, dans la grande salle de concert de Stockholm. L'année 2001, marquée par le centenaire de la remise du Prix, lui permit de participer pour l'occasion à un concert exceptionnel avec Anne-Sofie von Otter et Bryn Terfel.

Enfin, il convient de préciser qu'en septembre 2001, l'orchestre et Alan Gilbert, invités pour l'ouverture du Festival Brückner de Linz, en Autriche impressionnèrent fortement la critique par la qualité de leur interprétation de la Symphonie N°4 de Brückner.

Le programme choisi pour Pleyel reflète bien les différentes facettes de leur talent.

Tout d'abord, Indri, œuvre composée en 1988 par , tout spécialement pour le 75ème anniversaire de l'orchestre.

Ce compositeur, né en 1954, est un des musiciens suédois les plus joués sur la scène internationale et son œuvre intitulée « Motorbike concerto » figure parmi les plus connues.

Comme beaucoup de ses compatriotes, a commencé par chanter dans les chœurs. Son œuvre comprend de nombreuses pièces chorales, ainsi que des opéras. En raison de la fascination de ce compositeur pour la philosophie orientale, le minimalisme, la musique sérielle, Indri est à ce titre caractéristique de ces diverses influences.

Le concerto numéro 2 fut composé par Prokofiev pour le violoniste Francis Robert Sœtens et donné pour la première fois à Madrid le 1er décembre 1935 lors d'une tournée en Espagne.

Prokofiev souhaitait que son concerto numéro 2 soit différent du numéro 1. L'ardeur générale de l'œuvre rappelle le ballet Roméo et Juliette : le thème d'entrée du premier mouvement, très fluide, joué par le violon seul, le second mouvement, éloquent et captivant, le finale brillant, dansant, plein d'insolence et d'esprit de rebellion.

Composée en 1888 et donnée en public à Weimar sous la direction de Mahler lui-même en 1894 lors d'un festival, la Symphonie numéro 1 en majeur Le Titan déclencha un véritable scandale parmi la critique musicale. Seules quelques voix s'élevèrent pour saluer l'événement d'un nouveau génie de la musique.

Intitulée Le Titan à cause de l'admiration de Mahler pour le roman du même nom du grand poète Jean-Paul, cette symphonie est caractérisée par une langue musicale exhubérante, une atmosphère prométhéenne dont on décèle les premières esquisses dans ses Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants du compagnon errant), suite de quatre mélodies avec orchestre contant l'histoire d'un jeune homme errant à travers le monde.

Sa forme est bien celle d'une vraie symphonie à quatre mouvements au sens « classique » du terme, mais le génie de Mahler réside en sa manière de faire littéralement imploser la structure initiale.

Très contrastée, l'œuvre est caractérisée par deux premiers mouvements plutôt joyeux, célébrant les journées innocentes de l'enfance, l'amour de la nature, la joie de vivre (premier) les danses et chants de Moravie qui ont marqué la jeunesse de Mahler (second). Les deux derniers mouvements sont très différents : inexorable marche funèbre, descente aux enfers (troisième),

combat héroïque aux dimensions titanesques, rebellion continuelle contre les forces des ténèbres (quatrième) pour s'achever dans une apothéose triomphale et impétueuse.

Bruno Walter disait que cette symphonie, comme toutes celles de Mahler, devait être comprise comme de la musique symphonique pure et non une simple illustration musicale. Sans doute, est-elle aussi le reflet du combat que Mahler mènera lui-même toute sa vie contre les forces obscures qui le poussaient souvent à se révolter contre Dieu et à lui demander des comptes, tel Job dans l'Ancien Testament.

Pour Bruno Walter « elle demeurera par sa richesse et son originalité, un événement marquant dans l'histoire de la musique ».

Le défi que le Philharmonique de Stockholm avait à relever ce soir-là n'était donc pas mince.

L'orchestre et son chef surent se montrer à la hauteur en livrant une lecture éblouissante de cette symphonie, à la fois puissante et translucide, et donnèrent à entendre ce fameux « balancement yiddish » si cher au cœur de Leonard Bernstein, que très peu parviennent à rendre, même les plus célèbres, car il faut pour cela être entré dans l'âme même de Mahler…

La qualité technique de tous les pupitres est loin d'être en reste : subtilité et suavité des cordes, précision, clarté et fougue de tout le reste de l'orchestre – les vents sont magnifiques – en un mot une grande force alliée à une intense poésie, ce qui est plutôt rare.

J'ai gardé pour la fin la prestation exceptionnelle du violoniste Nicolaj Znaider. C'est peu de dire qu'il est brillant et virtuose car lui, comme l'orchestre et le chef, offrit quelque chose de plus : son âme, tout bonnement.

Cet artiste, né au Danemark en 1975 de parents israëlo-polonais, a remporté en 1997, à l'âge de vingt-deux ans, le Premier Prix du Concours Reine Elisabeth à Bruxelles. Il a déja participé à de nombreuses tournées internationales et enregistré en 2001 chez RCA le concerto pour violon numéro 2 de Prokofiev, le concerto pour violon de Glazunov et la Méditation de Tchaïkowsky avec l'orchestre de la Bayerisches Rundfunk sous la direction de Mariss Jansons.

Nicolaj Znaider, qui donna en bis une pièce de Kreisler, possède lyrisme, virtuosité diabolique, chaleur humaine, présence, autorité, qui sont la marque des grands. Sa personnalité et son charisme ne sont pas sans faire penser à l'irremplaçable Heifetz, dont l'ombre devait planer ce soir-là sur la Salle Pleyel comme celle de Bernstein, de Walter et de Mahler lui-même….

Le public ne s'y trompa pas, qui fit un véritable triomphe aux artistes.

Mais que ceux qui ont manqué cette soirée se rassurent : le concert sera diffusé le 26 novembre prochain sur Radio Classique à 20 heures 40.

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