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François Chat & Fred Frith : « Setaccio »

Il s'agit d'un spectacle rare, hors normes, étrange, précieux, particulier, subtil, raffiné, surprenant, profondément poétique, difficile à placer dans une catégorie, en un mot « inclassable ».

Est-ce de la danse, du théâtre, du cirque, du mime ? On ne sait… C'est un peu tout cela et bien d'autres choses encore…

Ce qui est sûr, c'est que la musique y est omniprésente et forte : parfois les bruits de la ville, quelques chants siciliens, des mélopées, mais surtout la partition composée par bien ancrée dans notre époque, qui flirte un peu avec le jazz, un peu avec l'atonal et beaucoup avec un style mélodique très post-moderne, et magnifiquement interprétée par le Quatuor Bartleby et Gianni Gebbia aux saxophones.

Elle s'insère parfaitement dans la gestuelle de François Chat – presque une danse – et son travail sur les objets qui sont musique, également, musique des sphères, musique stellaire.

Etonnant destin que celui de cet « enfant de la balle », né en 1978, formé à l'Ecole Nationale du Cirque Annie Fratellini, avec Italo Medini comme professeur de jonglage. Dés l'âge de dix ans, il participe à des spectacles, réalise son premier solo en 1993, Clip-Clop, crée en 1996 l'œuf du Vent, qui tournera en France et à l'étranger. La même année il sera le jeune Œdipe dans Silent Prologue qui précédait œdipus Rex de Stravinsky au Théâtre du Châtelet, sous la direction de Bob Wilson. Ce dernier créera pour lui Wings on the Rock – musique de Pascal Comelade et costumes de Kenzo – dont la première mondiale aura lieu au Festival de Saint-Denis en 1998.

De formation classique à l'origine, , compositeur, improvisateur, multi-instrumentiste, aime à travailler tous les styles  : blues, jazz, chansons, a également écrit pour la danse, le cinéma, le théâtre, et composé pour plusieurs ensembles contemporains.

Cet éclectisme et cette curiosité ne pouvait que l'amener à travailler avec cet autre explorateur des étoiles qu'est François Chat.

Ce dernier a quelque chose de fragile et de fort avec son apparence de jeune homme sage – magicien du geste, de la lumière, de l'ombre, des formes et de la couleur, accompagné parfois dans son parcours par une petite fille funambule et facétieuse.

La beauté des éclairages, du décor, ou du non-décor, des objets et de leur place dans l'espace s'installe naturellement entre les silences de la musique, les peuple d'une multitude d'autres silences auxquels répond la mélodie du geste.

Certes, l'influence de Robert Wilson est fort perceptible, très présente, même, en particulier dans l'extrême plasticité du spectacle, mais n'est-ce pas une référence et une belle filiation ?

Il est vrai par ailleurs que le Théâtre du Châtelet est trop grand pour une telle finesse, une telle poésie, une telle minutie, que le cadre de scène est un peu trop haut… Une salle plus petite eût été sans doute plus adéquate…

Néanmoins, tel quel, ce « bel objet » séduit, parce qu'il ne ressemble à rien de ce que l'on peut voir d'habitude, c'est étrange, dépaysant, c'est de l'art en fait, car l'art véritable n'est-il pas situé à la frontière de plusieurs autres : musique, danse, mime, peinture, lumière, ombre ?..

Le cirque est omniprésent, récurrent même, puisque la corde du funambule ouvre et clôt ce spectacle, et également la Sicile, où François Chat a séjourné pour y travailler : Voix, sons, chants, codes, gestes méditerranéens, sans doute, intemporels, certainement, les gestes de la vie….

Ecoutons ce que François Chat, pourtant muet sur scène, nous écrit et quelque part nous chante  :

« En dehors de la couche principale de bruits, une ligne de silences est à trouver,

Un secret à déposer en passant par l'église ou bien en surplombant la ville au sommet de la montagne :

une voix transportée par le vent chuchote :

« se taccio, se taccio »

si je me tais… »

La musique, parfois, n'est-elle pas faite de silence ?

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