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Schumann par Sena Jurinac, Le chant Retrouvé …

La réédition d'un récital enregistré en studio en 1954, d'une artiste aussi rare au disque que la magnifique constitue à coup sûr un événement, et dans ce cas précis, un enchantement.

Au début, on est étonné, puis conquis par tant de naturel, de pudeur et de totale évidence : il semble qu'on n'avait jamais entendu Schumann aussi simple, aussi spontané, comme allant de soi. Pas de pathos chez Jurinac, pas de maniérisme, ni d'afféterie, mais une totale dévotion à la musique et au texte, sans pour autant faire un sort à chaque mot, sans sophistication, sans effet appuyé. D'emblée, elle se meut dans cet univers comme s'il avait toujours été le sien, avec cette voix pleine, chaude et claire à la fois, qui pourrait être celle d'un mezzo, mais cette délicieuse Sena, si chère au cœur des Viennois n'avait-t-elle pas chanté Fiordiligi et Dorabella, Quinquin et la Maréchale, Le Compositeur et Léonore de Fidelio, Chérubin et la Comtesse ? Peut-être est-ce cette quasi universalité qui donne à son chant cette authenticité et cette profonde humanité, qui, au-delà des genres et des styles, atteignent le plus profond de l'être.

Ainsi, son « Frauenliebe und Leben » s'impose par son bonheur simple du début, et la tristesse résignée qui clôt le cycle. Et là où bien des interprètes, et parmi les plus grandes, ont eu parfois, et même souvent, tendance à dramatiser à l'extrême cette œuvre en la chargeant d'une exaltation, puis d'une noirceur presque morbides, Jurinac laisse entendre que la vie est ainsi, faite de joie, de plaisir, de douleur, et qu'il faut l'accepter comme telle, sans plus…

« Liederkreis », œuvre plus élégiaque et plus contrastée, bénéficie des mêmes qualités d'interprétation et de diction : l'allemand de Jurinac est limpide, raffiné à force d'être simple, proche de la vie, alors que la poésie d'Eichendorff est sans doute plus savante et plus recherchée que celle de von Chamisso.

« Il tramonto » de Respighi, œuvre plus rarement enregistrée, rejoint en son thème central la fin du « Frauenliebe und Leben » : la mort de l'aimé, et constitue aussi comme un écho au « Liederkreis », dans la célébration de la beauté de la nature. Jurinac en donne une lecture presque désincarnée, exempte encore une fois de pathos et de débordements inutiles, conforme d'ailleurs à l'esprit même de l'œuvre, puisqu'il y est dit que la « dame ne mourut pas, ne devint pas folle, et vécut encore quelques années » …

Peut-être ne parvient-on à ce résultat qu'en étant passé de « l'autre côté du miroir » et sans doute cette image vibrante et juste de la vie ne peut-elle être livrée qu'à ce prix.

En résumé, un enregistrement indispensable, qui pourrait bien abolir tout d'un coup ceux qui ont suivi ou précédé, ou du moins les relativiser fortement.

Une petite ombre au tableau : le piano de Franz Holetschek est loin d'être aussi inoubliable que l'artiste qu'il accompagne, mais tant pis, pour une fois, le génie de Jurinac est si grand qu'on oubliera un peu le pianiste.

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