- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Le Diable amoureux

C'est sur un ouvrage rare qu'a commencé l'an neuf au Théâtre du Châtelet dans le cadre de sa Saison Russe. Le Démon d' (1829-1894) n'avait en effet été présenté pour la première et dernière fois en France en 1911, Théâtre Sarah-Bernhardt qui fait incidemment face au Châtelet.

Rubinstein était un immense pianiste qui fit une carrière de légende, comparable à celle de Liszt et de Busoni, accomplissant d'interminables tournées qui le conduisirent de l'Atlantique à l'Oural et jusqu'aux Amériques. Il est aussi le fondateur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, premier centre de pédagogie musicale de l'histoire de la Russie. Compositeur russe de culture occidentale, il refusera la singularité slave, rejetant ainsi Glinka et, surtout, les musiciens du Groupe des Cinq, qui le lui rendront bien, préférant son élève Tchaïkovski. Créé le 13 janvier 1875 au Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, cet « opéra féerique » est le plus parfait reflet qui se puisse trouver dans la production lyrique de l'éclectisme de ce compositeur dont l'influence se porta jusqu'en Occident. Touffue mais frémissante, l'orchestration est de coloration germanique, évoquant tour à tour Schumann et Wagner, dont on retrouve Or du Rhin et de Walkyrie. L'on décèle aussi des tournures annonçant Tchaïkovski, qui fut l'élève favori de Rubinstein. Adapté de Lermontov, signé Apollon Maïkov et Pavel Viskovatov, le livret conte l'histoire du diable à qui la rédemption est promise s'il tombe amoureux d'une jeune femme prête à s'offrir à lui. Malgré son désir de bonté, il ne peut résister à sa nature maléfique, et, portant son dévolu sur une belle princesse déjà promise, il fait tomber le fiancé dans un guet-apens de bandits qui l'assassinent. La jeune femme choisit alors de se vouer à Dieu et d'entrer au couvent, où le diable se révèle enfin à elle pour la convaincre, mais, alors qu'elle persiste à résister, elle meurt sans avoir rien concédé, condamnant ainsi le diable à l'errance éternelle. C'est dans le dernier acte, qui se fonde principalement sur un immense duo de la princesse et du diable, que se situe la meilleure part de l'ouvrage.

La mise en scène de Lev Dodine, qui avait notamment réalisé celle de La Dame de Pique de Tchaïkovski donnée à l'Opéra Bastille en 1999 et 2001, se contente du minimum, se limitant à une mise en place des masses chorales qui se meuvent tels des soldats de plomb dans une scénographie granitique faisant un usage excessif du contreplaqué à l'ombre par trop envahissante d'une bâtisse religieuse orthodoxe. En revanche, la distribution est d'une parfaite cohésion, ce que l'on ne peut trouver qu'au sein d'une troupe constituée. L'équipe de chanteurs est néanmoins dominée par l'excellent baryton Evgueny Nikitin, qui parvient à assombrir sa voix au fur et à mesure de l'évolution dramatique de son personnage, et, surtout, par la splendide Marina Mescheriakova, Tamara exceptionnelle de vérité et à la voix pleine et charnelle. Valeri Gergiev emporte la partition avec une frénésie conquérante, bien qu'il la découvrît pour l'occasion (le spectacle est repris dans la foulée à Saint-Pétersbourg), jouant des timbres tranchants et verts de son orchestre, alors que, comme de coutume dans le chant russe, les chœurs du Théâtre Mariinski se sont montrés excellents dans la partie la plus typiquement russe de l'œuvre.

Crédit photographique : © Marie-Noëlle Robert

(Visited 595 times, 1 visits today)