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Variations pour un ange

aux Concerts des Billettes

Lorsqu'un ange révèle au monde un compositeur inconnu alors qu'il est exceptionnel, n'est-il pas dans son rôle de messager divin ? C'est précisément ce qui vient d'arriver en l'église luthérienne des Billettes, où le contre-ténor a présenté une dizaine de madrigaux du compositeur italien (1603/04-1681). Ce poète, compositeur émilien, virtuose du théorbe, a été l'hôte des principales villes d'Italie, de Venise à Gênes en passant par Modène, Bologne et Milan, et a résidé à Vienne où il travailla à la cour de l'empereur Ferdinand III. En 1637, il donnait à Venise avec Andromeda le premier mélodrame représenté dans un théâtre public. En 1640, toujours sur son propre livret, il présentait à Bologne Il pastor regio, dont le duo final Pur ti miro, pur ti godo apparaît également dans la dernière scène de l'ultime opéra de Monteverdi, L'incoronazione di Poppea. De là à soutenir la thèse que la musique du chef-d'œuvre montéverdien est aussi de Ferrari, il se trouve déjà des exégètes pour le faire… Mais ce même texte, selon la musicologue Barbara Nestola, figure également dans le finale du Trionfo della fatica de Filiberto Laurenzi…

Entre 1633 et 1640, Ferrari publie trois livres de Musiche a voce sola qui illustrent l'évolution stylistique de la monodie accompagnée, de l'aube du recitar cantando à la vocalité épanouïe qui domine le mélodrame du milieu du XVIIe siècle. Une page telle Amanti, io vi so dire, avec ses rythmes chaloupés, sa mélodie charmeuse aux vocalises aériennes, une écriture aux élans chaleureux, avec un accompagnement de luth, harpe, viole de gambe et orgue positif est un pur joyaux. L'aria est entrecoupée de recitativo cantando tout aussi virtuoses. Chantée par , cette page délicieuse semble venir de l'Olympe, d'où Amour conseille aux hommes de prendre garde aux femmes. « Amants, je vais vous dire :/ Il vaut beaucoup mieux fuir/ Une très jolie femme,/ Qu'elle soit cruelle ou adorable ;/ De toute façon, et quoi qu'il en soit,/ Mourir par amour est folie.// Qu'on n'aille pas s'imaginer/ Que l'amour apporte le plaisir ;/ Le contentement amoureux/ N'a lieu qu'à un certain : moment,/ Et une belle femme, pour finir,/ N'accorde jamais de roses sans épines. » Ou le lamento Occhi miei che vedeste, « Vous, mes yeux qui voyez/ Votre bien-aimée être la proie d'un autre/ Que ne vous fermez-vous ?… ». Ou encore le chant spirituel en quatre parties Queste pungenti spine, « Ces épines acérées/ Nées et grandies/ Aux bois infernaux/ Affligent, transpercent/ Ô barbarie !/Mon Seigneur et mon Dieu … », dont l'accompagnement commence sur l'orgue positif, bientôt rejoint par la viole de gambe, puis par le théorbe, enfin par la harpe.

Philippe Jaroussky est doué d'une voix prodigieuse, comme immatérielle, asexuée, d'une agilité phénoménale. Le contre-ténor peut tout faire avec une agilité à toute épreuve. Cette voix est naturelle, fluide, délicate, capable des nuances les plus fines. C'est à peine si l'on perçoit une légère tension dans le grave, qui, lorsqu'elle passe trop vivement de son registre usuel vers le bas du spectre, redevient étonnamment humaine, le timbre étant alors clairement celui d'un homme. Mais dans la globalité de la tessiture, l'on est confondu par la beauté évanescente de ce chant au velouté inouï, capable d'exprimer tout à la fois tendresse et douleur, grâce et tragique avec une intensité toute paradisiaque. Reste à espérer que Philippe Jaroussky saura protéger longtemps cet organe unique, ensorceleur à souhait, en continuant à mener sa carrière avec la plus grande vigilance.

Le récital qu'il a donné en l'église des Billettes enchâssait des pages de Ferrari à des pièces instrumentales de contemporains du compositeur italien, Giovanni Maria Trabacci (1575-1647), (v. 1580-1651), (1510-1570) et Bernardo Storace. Outre leur rôle d'interludes, ces pièces ont permis d'apprécier la musicalité des instrumentistes de l', (viole de gambe), Claire Antonini (théorbe), Nanja Breedijk (harpe) et Yoko Nakamura (clavecin, orgue). Quatre artistes au goût sans faille qui se sont réunies pour l'enregistrement du disque remarquable qu'elles viennent de publier avec Philippe Jaroussky chez Ambrosie* que ce concert a somptueusement illustré. Le jeune contre-ténor français, dont la carrière commence à recevoir un écho international, compte quantité de projets dans son escarcelle, parmi lesquels la création mondiale en octobre 2004 de l'opéra Le Vase de parfums que Suzanne Giraud est en train d'écrire sur un livret d'Olivier Py, qui en signera également la mise en scène.

* 1 CD Ambrosie AMB 9932 (distribution Harmonia Mundi)

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