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Maria João Pires et Ricardo Castro jouent Schubert et Chopin

34e Festival de l'Orangerie

Le Festival de l'Orangerie de Sceaux, dont le rayonnement ne cesse de croître, demeure l'un des plus grands festivals de musique de chambre de l'hexagone, référence incontestée dans le paysage musical français. Depuis sa création en 1969, cette manifestation reste fidèle aux objectifs de son fondateur, Alfred Lœwenguth : présenter de jeunes interprètes aux côtés d'artistes prestigieux et mondialement reconnus, et populariser le répertoire de musique de chambre.

L'Orangerie – dont les premiers hôtes ont été Lulli, Racine, et Louis XIV, pour son inauguration en 1685 – accueillait dimanche , qui s'est permis une infidélité à Mozart, son compositeur de prédilection, au profit de Schubert et de Chopin. La foule des grands jours était néanmoins au rendez-vous. Il est vrai que cette grandissime pianiste lisbonnais donne peu de concerts, car elle consacre la majeure partie de son temps à sa fondation, implantée dans son petit village de Belgaïs, près de Castelo Branco.

Pires était accompagnée par le pianiste brésilien . Né à Vitoria da Conquista, il est entré exceptionnellement à l'âge de cinq ans aux Seminarios de Musica, avant d'être admis dans la classe d'Esther Cardoso à l'école de musique de l'Université de Salvador de Bahia. A dix ans, il donne en public le Concerto en ré majeur de Haydn. Elève de Maria Tipo au Conservatoire de Genève et de Dominique Merlet à Paris, lauréat en 1993 du concours de piano de Leeds, on le retrouve avec l'English Chamber Orchestra, à l'Academy of St. Martin-in-the-fields, au City of Birmingham Symphony Orchestra, au Mozarteum de Salzbourg sous la direction, entre autres, de Simon Rattle, John Neschling, Alexander Lazarev.

Tout au long de cette fin d'après-midi dominicale caniculaire, Maria Joao Pires joue sans concession et sans céder à la moindre facilité. Ni cinéma, ni effets d'aucune sorte mais une concentration, une rigueur et une présence fascinantes. Avec , elle aborde l'Allegro en la mineur, « Lebensstürme » de Schubert qui a, sans nul doute, écrit les plus belles pièces pour quatre mains qui soient. Des pièces qui exigent de la part des deux pianistes une entente, une intimité et une complicité parfaites pour s'épanouir dans le bonheur de l'interprétation. Dès les premiers notes, les deux pianistes maîtrisent en beauté la fougue tumultueuse, l'architecture et la palette sonore de cette page pour quatre mains extraordinairement orchestrale et romantique. Comme la traduction du titre l'indique, nous sommes ici en plein dans les « Orages » ou les « Tourments de la vie ».

enchaîne ensuite sur la Sonate n° 2 en si bémol majeur de Chopin construite autour de la Marche funèbre et publiée en 1840. On reste fasciné par la puissance, l'originalité et le ton visionnaire de cette œuvre en quatre mouvements qui sont autant de visages de la mort et dont Schumann dira : « Ce n'est plus de la musique, mais un certain génie impitoyable nous souffle au visage ». Avec un jeu fluide et frémissant, énergique et expressif, impétueux et audacieux, Ricardo Castro trouve la force et l'émotion qui conviennent à cette inexorable progression vers la mort et le néant. Sous le toucher sensible de Maria Joao Pires, la Sonate n°3 de Chopin rayonne de vie. Ecrite au cours de l'été 1844, juste avant sa rupture avec George Sand, l'œuvre est publiée un an plus tard et dédiée à la comtesse E. de Perthuis. Cette pièce est tout le contraire de la Sonate n°2. Malgré la maladie qui mine le compositeur, la joie, le bonheur et la liberté dominent. Avec une virtuosité époustouflante, une sensibilité et une passion d'une bouleversante intensité, Maria Joao Pires en donne une interprétation lumineuse.

La Fantaisie en fa mineur est le sommet des « quatre mains » de Schubert. Composée en 1828 et écrite sur le principe des quatre mouvements de la sonate, elle est dédiée à Caroline Esterhazy, fille du comte, « l'immortelle bien-aimée », l'amour impossible de Schubert. Tout commence en fragilité, délicatesse, tendresse, intimité et nostalgie pour l'envoûtant premier mouvement avant l'ineffable duo d'amour, magnifique dialogue pianistique entre soprano et basse, avant de conclure dans le Finale qui reprend magnifiquement la nostalgique mélodie d'ouverture. Avec leur sens du phrasé et de la mélodie, avec leur délicate et discrète virtuosité, Maria Joao Pires et Ricardo Castro en donnent une interprétation touchante, empreinte d'une mélancolique et douloureuse rêverie.

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