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Ensemble Court-Circuit, Hommage à Gérard Grisey

Poursuivant la série des concerts monographiques inaugurée en ce début de saison 2003 par le portrait Matalon à l'IRCAM, le 23 Septembre, l', accueilli dans le somptueux décor rouge pompéien du Théâtre des Bouffes du Nord ce lundi 6 octobre, rendait un hommage très émouvant à , — le précurseur de ce que l'on nomme la musique spectrale — décédé brutalement le 11 novembre 1998 à l'âge de cinquante deux ans.

Le concert était précédé par une présentation de la nouvelle saison de l'ensemble par , son directeur artistique. Parmi les objectifs premiers de Court-circuit, signalons la volonté de recentrage de l'activité musicale du groupe sur Paris après de nombreux concerts à l'étranger ces précédentes années. Court circuit s'engage également à défendre et à parfaire la connaissance des compositeurs par le biais des concerts monographiques comme celui de cette soirée. soulignait enfin la tendance, selon les nécessités de la programmation, à élargir l'effectif instrumental au grand ensemble de manière à servir un répertoire des plus divers.

Le portrait de , que l'ensemble vient de donner au festival « Automne à Varsovie », débutait par une œuvre soliste pour saxophone basse, Anubis et Nout ; elle fut écrite en 199O après la version pour clarinette contrebasse en si bémol (1983) qui rendait hommage à Claude Vivier dont la mort brutale marqua fortement le milieu musical. C'est un diptyque inspiré par les deux divinités de la mythologie égyptienne, Anubis, fils d'Isis et Osiris, le protecteur des morts avec sa tête de chacal et Nout la déesse du Ciel qui avale chaque soir le soleil pour le faire renaître le matin suivant. On connaît l'attirance très vive de Grisey pour l'Egypte antique depuis sa lecture inoubliable du « livre des morts » qui suscita la composition de Jour, contre-jour pour orgue électronique, 13 musiciens et bande. « Intrigué par l'analogie existant entre les phénomènes de l'ombre portée d'une part et des sons nommés différentiels d'autre part, écrit–il, j'ai composé une pièce dans laquelle tout est généré par la course d'un soleil imaginaire : un spectre inharmonique en mutation constante vers un spectre harmonique. » Tel est bien le processus qui s'instaure dans Anubis et Nout, par le biais d'une lente et profonde investigation à l'intérieur du son que Grisey conçoit comme un champ de forces à explorer sous tous ses paramètres : rythme, timbre et dynamique. Dans ces deux pièces très contrastées exigeant un investissement total de la part de l'interprète (saluons la prestation remarquable de Damien Royannais), une figure sonore en mouvement se déroule incessamment, sous la forme d'arpèges descendants pour l'univers souterrain d'Anubis, déployant au contraire ses harmoniques naturels de douzième pour l'éther de Nout. L'interprète tout comme l'auditeur doit vivre ce voyage initiatique à l'intérieur du son comme une véritable expérience métaphysique.

Plus troublante encore est l'ultime partition de , Quatre chants pour franchir le seuil, terminées quelques semaines avant la mort subite du compositeur en novembre 1998 ; car le seuil à franchir, dont il question dans le titre, est situé entre la vie et la mort. Œuvre prémonitoire, ces quatre chants sont une réflexion sur la mort de l'ange tirée de l'œuvre « les heures à la nuit » du poète français Christian Guez Ricord, disparu en 1989, que Grisey rencontre à la Villa Medicis, à Rome, en 1972 : quatre réflexions venues de quatre époques et de quatre cultures différentes (chrétienne, égyptienne, grecque et mésopotamienne) envisageant la mort avec la même sérénité, dans l'acceptation calme d'une existence nouvelle, différente : « Fais-moi un chemin de lumière, laisse-moi passer » (extrait de la mort de la civilisation n° 973).

L'œuvre est écrite pour voix de soprano et quinze instrumentistes répartis par groupe de trois (chaque instrument à cordes est encadré par deux instruments à vent). Trois ensembles de percussions cernent l'effectif global.

C'est une œuvre étrange où Grisey semble abandonner tout radicalisme de pensée pour mieux adhérer au projet poétique. Guidé par les interventions de la voix, impulsive et tendue au départ, le discours instrumental évolue au fil du temps vers des sonorités de plus en plus lumineuses — tuba et clarinette basse sont relayés par les résonances de la harpe et des cymbales antiques — installant un balancement calme et hypnotique de berceuse jusqu'à ce que le mouvement s'immobilise.

Lorsque les Quatre chants furent créés à Londres, le 3 février 1999, Gérard Grisey avait lui-même déjà franchi le seuil.

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