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Luciano Berio, un univers en expansion

Dans le cadre des concerts/confrontation Bach/Berio proposés par la Cité de la Musique du 10 au 24 Mars 2004, les solistes de l' poursuivaient ce dimanche 21 Mars, à l'amphithéâtre du musée, l'intégrale des Séquenze de ( premier concert à la Cité de la Musique le 9 Novembre 2003).

Le choix des cinq Sequenze figurant au programme (contre six la première fois) permettait de mettre en regard la première en date — la Sequenza pour flûte écrite en 1958 — et la dernière — la Sequenza XIV pour violoncelle — terminée et crée en 2002 par son dédicataire (elle ne figure donc pas dans la très belle intégrale parue chez Deutsche Grammophon en 1998). Même si elles répondent à un projet commun — «elles sont presque toutes construites à partir d'une séquence de champs harmoniques dont découlent les autres fonctions » nous dit Berio — les XIV Sequenze n'en dessinent pas moins la trajectoire accomplie par le compositeur durant ces quarante années de création.

C'est la voix de Berio, profonde et chaleureuse qui introduit le concert et va se glisser entre les pièces instrumentales, dans les interstices silencieux, pour nous dire les courts poèmes qui accompagnent chacune de ses Sequenze. Quelques effets de lumière et une mise en espace des cinq « acteurs » de la soirée suffisent à créer la dimension théâtrale toujours présente dans l'univers du compositeur italien.

Elle est manifeste dans la Sequenza V pour trombone (1965) où se profile le souvenir du clown Grock qui était le voisin de Luciano à Oneglia, sa petite ville d'enfance. « La Sequenza V — nous dit Berio — peut être écoutée et vue comme une mise en scène de gestes vocaux et instrumentaux ».On assiste à une véritable transformation du son instrumental en direct grâce aux interférences de la voix dans l'instrument et aux effets de sourdine que dose avec une agilité virtuose, magicien, prestidigitateur et clown toute à la fois. Les Séquenze I pour flûte (1958) et IX pour clarinette (1980), moins chargées « d'histoire », répondent plus directement au projet initial de Berio, celui de développer, sur le plan mélodique, un discours essentiellement harmonique en constante évolution. « Mon intention était de suggérer une polyphonie grâce à une très grande vitesse de transformation ». La dimension virtuose, omniprésente dans l'écriture de ces Sequenze, naît de cette tension entre l'idée musicale et l'instrument dont Berio ne tente jamais d'outrepasser les possibilités traditionnelles : un défi — superbement relevé — pour les instrumentistes ( respectivement et André Trouttet), confrontés à une écriture exigeante imposant le strict respect du texte. Beaucoup plus récente et plus risquée dans sa conception, la Sequenza XII pour basson (1995) tient davantage de la « performance » ; parce qu'elle réclame un investissement total, tant physique que mental de la part de l'interprète et qu'elle est « une expérience pour entendre », un voyage dans le son laissant l'auditeur à l'écoute de ce qui advient. qui en est le dédicataire est d'ailleurs le seul à jouer sans partition, se libérant du texte pour vivre plus intensément le phénomène acoustique et engager peut-être l'auditeur à une écoute plus active. Pratiquant le souffle continu, il traverse les registres du basson en donnant l'illusion du continuum sonore, génère des timbres nouveaux, creuse dans le grain du son comme pour éprouver les limites de son instrument…Autant de modes de jeu et d'actions sonores mis en œuvre par Berio pour renouveler l'image traditionnelle du basson.

La Sequenza XIV pour violoncelle est encore peu jouée en France. Berio l'a remaniée jusqu'en Février 2003 et c'était d'ailleurs « une prise de rôle » pour qui eut le privilège de nous introduire dans ce microcosme sonore aussi étrange qu'envoûtant. Manifestant une fois encore son intérêt pour les modèles de la tradition, Berio transpose sur le violoncelle les rythmes et les sonorités spécifiques des percussions indiennes, le tambour de Kandy notamment dont joue , le dédicataire de la Sequenza. Sans le recours de l'archet, la main droite frappe sur la caisse de l'instrument tandis que les doigts de la main gauche tapent les cordes pour les faire résonner, imitant le jeu du tambour qui, comme les tablas, a la faculté de moduler les hauteurs de sons. Plus que toute autre Sequenza et peut-être parce que c'est la dernière, la Sequenza pour violoncelle met en résonance l'inscription poétique qui inaugure la séries des ses pièces solistes : « Et ici commence ton désir qui est le délire de mon désir La musique est le désir des désirs ».

Crédit photographique : (c) DR.

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