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Denise Duval par Bruno Berenguer

Quels souvenirs nous reste-t-il de  ? Qui peut se remémorer le grain de sa Tosca, le goût de sa Mélisande ? Peu de monde en vérité, car son art était abattage, tempérament, présence scénique, éphémères par essence, plus que pureté vocale.

Non, ce qui nous reste de , c'est Francis Poulenc : si la cantatrice n'avait pas été l'égérie du compositeur, la créatrice de ses opéras, aimerait-on encore cette voix claire mais un rien pointue, ses aigus un peu acides, cette technique un brin surannée ?

D'ailleurs, Poulenc arrive très vite dans la biographie que Bruno Berenguer consacre à , mais il s'y fait discret, car c'est bien de la cantatrice qu'il s'agit, et non d'un hommage détourné au compositeur. Un chapitre est toutefois consacré aux relations entre Francis Poulenc et son inspiratrice, très curieusement, uniquement basé sur une analyse des sentiments de Poulenc, sans rien dévoiler de ce que pense Denise Duval de cette amitié, alors que seule vivante, il était possible de la faire s'exprimer. Notons également que le chapitre concernant la Voix humaine est beaucoup plus développé que ceux relatifs aux Mamelles de Tirésias et aux Dialogues des carmélites.

Avant Poulenc, l'auteur nous aura raconté les débuts de la jeune fille à Bordeaux, agrémenté de photos des affiches des productions dans lesquels elle se distingue par son élégance, sa fougue et son intelligence. Il cite abondamment un critique bordelais, dont les comptes-rendus mis bout à bout semblent former une déclaration d'amour à la jeune artiste. Il nous rappelle sans cesse que Duval n'est pas que Poulenc, alignant dates et noms de rôles, dont certains juste pour un soir, certains importants, comme sa participation à la recréation des Indes Galantes, d'autres anecdotiques.

Car Bruno Berenguer a fourni un travail sérieux, documenté et complet, évitant tout autant l'hagiographie de fan énamouré (il émet par exemple des réserves sur les capacités vocales de Denise Duval à incarner Manon) que les effets people les plus déplacés. Nous ne saurons rien de la vie privée de l'artiste. Quand il décrit la composition de la Voix humaine, il rapporte les paroles de la cantatrice qui était à ce moment en plein drame sentimental, mais n'ajoute rien. Nous n'en saurons pas plus, et c'est tant mieux.

Certains reprocheront peut-être un manque de verve, une approche un peu froide, informative avant toutes choses : la scène si drôle de la jeune provinciale de bonne famille débarquant à Paris pour passer une audition à l'opéra et se faisant embaucher…aux Folies-Bergère, irrésistible racontée par la protagoniste en personne dans l'Avant-Scène Opéra (n°52 ,mai 1983), est ici détaillée d'une façon détachée, un peu clinique. Pourtant, ça et là, au détour d'une page, d'une expression, on se trouve fugacement plongé dans le Paris mondain des années 1950 et des élégantes en robes de chez Dior, photos de la très élégante Denise Duval à l'appui.

Pour terminer, Bruno Berenguer évoque le formidable film Denise Duval revisitée ou la «voix» retrouvée dans laquelle la cantatrice donne une leçon d'interprétation de la Voix humaine à Sophie Fournier et où, submergée par l'émotion d'une musique et d'un texte qu'elle a si souvent fait siens, elle se met à pleurer. C'est cela Denise Duval : l'émotion vraie.

Cette biographie comprend une discographie et une filmographie complète, une iconographie abondante et pertinente. Ni la bibliographie, ni l'index ne manquent à l'appel. L'ensemble est complété par une série de lettres inédites de Francis Poulenc à Denise Duval.

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