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Atahualpa l’oiseau sacré

Altaïs-Music

Pour ceux qui aiment les entraves, il est désormais très difficile de qualifier la musique d'Amérique du Sud. Est-elle populaire ou classique ? En ce qui nous concerne, cela a peu d'importance et l'écoute de ce disque ne peut que nous conforter dans l'idée que seul le plaisir doit guider nos choix. Les maîtres de cette partie du monde ont fait leur travail d'émissaires. Barrios, le plus populaire des musiciens classiques, est passé par là. Les quatre guitaristes formant ce quatuor (José Mendoza, Adrien Maza, Christine Petit-D'Heilly et Gérard Verba) ont su mettre leur talent de musiciens classiques au service d'une musique populaire qui a depuis longtemps fait montre de noblesse et de richesse.

Trois danses vénézueliennes ouvrent ce disque : Carnaval de cuaresma est un meringué, de Victor Contreras Rendon, enjoué au thème chantant suivi de Amada mia de Jose Rafael Rivas, une habanera à la douce mélodie nostalgique sur un rythme qui sent bon le tango (vite, vite, lent) et José, Humberto y Josefina du même JR Rivas qui est une danse traditionnelle typique. José Mendoza soutient admirablement ces trois complices avec son cuatro, cette petite guitare à 4 cordes qui produit à la fois harmonie et percussion.

Suit Lamento y fiesta de Gérard Verba qui nous montre ainsi que le guitariste est aussi un compositeur digne de ce nom. L'incantation d'une vidala sur le rythme lancinant d'un bombo précède une festive cueca. Le charango de José Mendoza se fait tout à coup dansant presque drôle et les couleurs du carnaval jaillissent.

Alain Miteran, guitariste et compositeur, a dédié au Quatuor Barrios-Mangore son Atahualpa, l'oiseau sacré, fresque de 4 mouvements retraçant la fin de l'empire inca avec la mort de son dernier représentant, Atahualpa (V.1500-1533), tué par le conquistador Francisco Pizarro (v .1476-1541) en 1533. Comme bon nombre des œuvres du compositeur, Atahualpa est une pièce très narrative et descriptive. le premier mouvement, Warachikuy, retrace la cérémonie d'initiation des adolescents incas. Le bombo donne le leitmotiv rythmique au chant des guitaristes. Puis vient l'histoire des Mamakuna, ces femmes qui consacraient leur vie au Dieu Soleil. Cajamara retrace la journée du 16 novembre 1532 où le conquistador osa porter la main sur l'Intouchable inca, provoquant symboliquement la fin d'une civilisation au profit d'une autre. Le rythme fait clairement penser à l'entrée en scène d'un condamné. Grâce aux guitares, on perçoit toute la tristesse mais aussi la dignité de l'Empereur face à cette tragédie. C'est pourtant avec le dernier mouvement, Illapa, qu'Alain Miteran évoque la mort du dernier représentant de la civilisation inca, le 15 août 1533 malgré le paiement d'une énorme rançon pour sa libération. Les larmes coulent sous les doigts des guitares.

Tristecita d' est une très belle transition. On connaît bien le compositeur argentin par sa Missa Criolla. Pourtant Tristecita sonne à nos oreilles comme une mélodie familière de notre passé. Comme pour nous sortir de nos pensées nostalgiques, El escondido surgit de l'Argentine profonde. Cette danse traditionnelle simule le jeu de cache-cache accompagné des claquements de mains des danseurs. Comme pour nous rappeler les contrastes permanents de la musique Sud Américaine, Juntito al fogon d'Harmanos Abalos nous berce de sa douce mélodie comme un chant murmuré avant de laisser place à une nouvelle danse, un célèbre gato au rythme généreux. Le livret nous rappelle d'ailleurs que « cette danse créole est si omniprésente en Argentine qu'on a pu dire qu'il était difficile de trouver un gaucho qui ne sache pas au moins « racler » un gato. »

Il était difficile d'éviter Barrios tant l'on sait que le compositeur tenait à ses origines. N'a-t-il pas changé son nom pour devenir « Cacique Nitsuga Mangore », « Mangore » faisant référence à ce chef indien guarani qui résista aux conquistadors, comme pour nous signifier son profond respect pour la tradition. Les trois pièces du paraguayen présentes sur ce disque sont bien connues et pourtant totalement revisitées dans la plus pure tradition populaire. Le compositeur aurait certainement approuvé l'interprétation du Quatuor. Barrios était un infatigable voyageur et le choix de ce disque nous emmène au Brésil puis au Pérou pour revenir aux sources du Paraguay. La très classique Maxixe donne le ton avant l'Aire de Zamba si prisé de Barrios à en croire les deux enregistrements que nous avons du guitariste-compositeur. La Danza Guarani nous convint si besoin était que Barrios a amené la musique populaire de son pays à une reconnaissance que les « puristes » classiques ne peuvent rejeter.

C'est à la compositrice bolivienne Matilde Casazola-Mendoza que revient l'honneur de clore ce disque. Tout d'abord par une cueca au rythme soutenu suivie d'une chanson d'amour, Tanto te ame, à la beauté séductrice.

Ajoutons que les arrangements sont de Gérard Verba, Kelo Palacio, Christine Petit-D'Heilly et Alain Miteran. Tous ces talents nous emmènent dans un véritable voyage coloré. Un disque rafraîchissant, à consommer sans modération. On en redemande.

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