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Le Grand Siècle des âmes

Le Grand Siècle des âmes »… c'est ainsi que Daniel-Rops choisit d'intituler le volume de son Histoire de l'Église consacré au XVIIe siècle.

Nulle musique mieux que celle entendue lors de ce concert n'illustre cette expression pleine de superbe : et l'on comprend pourquoi Louis le Grand soi-même, découvrant les motets de Charpentier, « n'en a point voulu entendre d'autre, quoiqu'on lui en eût proposé ».

Par rapport au grand motet versaillais, immédiatement séduisant par le lustre de sa majesté décorative, le petit motet, plus intérieur, plus austère parfois aussi, a plus de mal à révéler sa fervente intimité, à imposer sa mystique recueillie. Pourtant, les treize proposés par et la Maîtrise de Radio-France montrent une étonnante variété de moyens musicaux et d'états d'âme : de ceux, les plus simples, écrits pur le Port-Royal, jusqu'aux « opéra-minute » avant la lettre (In Nativitate Domini…, pastorale avec personnages) et aux études formelles (les Litanies de la Vierge, qui trichent magistralement avec la structure répétitive).

Au sein de l'effectif entièrement féminin — si ce n'est un jeune contre-ténor qui devait se sentir un peu seul… — a choisi de sélectionner un « petit chœur », une dizaine de jeunes filles se succédant aux pupitres de solistes. L'excellence du travail vocal accompli par et ses assistants se sent tout particulièrement dans la qualité du pupitre de soprano, capable de fournir des solos de tout premier ordre : le 1er dessus du motet à Ste Anne, et plus encore celui du In Nativitate, vocalisant avec l'aisance d'un rossignol. Sans doute les 2ds dessus se montrèrent-ils toujours un peu en retrait, avec des voix moins tenues et une moindre qualité de concentration : on aimerait les voir en répétition… Cela dit, elles ne déméritent nullement dans des ensembles au son corsé et chaleureux, où s'entendent peut-être les origines catalanes du directeur musical.

Reste ce qu'un tel programme doit à la rencontre avec . On connaît depuis longtemps la qualité de son travail de continuiste à la Maîtrise de Versailles et, pour un tel styliste, la familiarité avec le vocabulaire du goût français va de soi. Encore faut-il le faire passer à un jeune ensemble dont ce n'est pas, pour dire le moins, la spécialité, contrairement aux solistes aguerris avec lesquels il travaille au sein de l'Ensemble Pierre Robert.

On pourrait chipoter sur quelques agréments restés mollassons, sur la difficulté à se convertir à la prononciation française du latin — les ou et les tch romains des Dominus et des cœli sont tenaces ! — mais ce serait bien mesquin. Car non seulement la souplesse et la finesse des articulations sont là, où souvent les « baroqueux » s'arrêtent, mais encore l'incroyable variété des accents vient-elle souligner la vigueur et les asymétries d'une rythmique toujours imprévue et toujours émouvante. La musique n'est jamais vue par le petit bout de la lorgnette ; l'interprétation ne s'arrête pas au travail sur le motif musical, elle retrouve une intensité lyrique dans les phrasés, une expressivité dans les figuralismes hérités de Monteverdi, qui nous emmènent loin au-delà de toute rhétorique sèche pour atteindre à l'éloquence du prédicateur. Ne lit-on pas en un traité du temps : « La vraie éloquence, surtout celle de la Chaire, éclaire, échauffe, brûle même, plus qu'elle ne brille »…

Incluons dans ces compliments le continuo discret mais efficace de la gambiste et surtout le remarquable théorbe de , regrettons in petto que l'harmonie atone de l'orgue coffre choisi pour ce concert n'ait pas permis de goûter pleinement la musicalité des réalisations et du toucher de Frédéric Desenclos — surtout lorsque lui revenaient des parties de flûtes obbligato — et concluons, comme nous l'avait laissé percevoir son dernier et magnifique disque consacré à Danielis, qu'il est sans doute aujourd'hui le spécialiste incomparable de ce répertoire. On attend avec impatience de le retrouver avec son ensemble, à l'automne, dans le cadre des Journées Charpentier de Versailles.

Crédit photographique : (c) DR

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