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Nederlands Dans Theater II et III à Paris

Si le de La Haye est régulièrement invité par l'Opéra de Paris au Palais Garnier, on connaît moins bien les deux compagnies annexes que sont les NDT II et III, compléments inventés par le chorégraphe d'origine tchèque respectivement en 1978 et 1991 pendant son temps de direction artistique de la compagnie de 1975 à 2000.

Des éléments de ces deux compagnies font partie des grands ballets, comme « Arcimboldo 2000 », que Kylián a monté avec le NDT à Garnier. Le NDT II permet de faire entrer dans le spectacle les jeunes danseurs issus de l'École de Ballet avant qu'ils n'entrent éventuellement dans la troupe. Le NDT III permet à ceux qui, ayant atteint ou dépassé l'âge de la retraite, de continuer de danser dans des spectacles à vocation plus théâtrale — comme c'est la mode aujourd'hui.

Avec sa quinzaine de danseurs âgés de 17 à 22 ans, le NDT II vient de montrer sur la vaste scène du Théâtre de Chaillot l'excellence de son ensemble et la flexibilité de style dont il est capable. D'emblée ils frappent très fort avec Indigo Rose, une déjà ancienne chorégraphie de Kylián (1998), modèle de fluidité, de rigueur et de jeux sur symétrie – asymétrie dans un décor simple du chorégraphe qui, par deux cordes, délimite un espace astucieusement exploité par les neuf danseurs. Elle culmine sur une Fugue de Jean-Sebastien Bach, exercice cher à Kylián, dont s'acquittent ces jeunes avec une souplesse et une intelligence musicale extraordinaires. Les chorégraphies suivantes de Paul Lightfoot et Sol León et même la dernière pièce de Kylián n'atteignent jamais en émotion l'intensité de cet Indigo Rose. De fait Shutter Shut (2003), brève étude de quatre minutes réglée pour deux danseurs sur un poème de, et lu par, Gertrude Stein, mène dans un monde plus convulsif dans lequel les mouvements sont réglés sur le poème syncopé. Subject to change avec ses dix-huit minutes est très sophistiqué et trop long pour la minceur de ses idées chorégraphiques. Donnée en dernier, la plus récente pièce de Kylián, (2002), titrée 27'52″ selon sa durée, sur une musique de Dirk Haubrich basée sur deux thèmes de Gustav Mahler, fait appel à des idées et à un vocabulaire plus modernes. Six danseurs s'échauffent, dans une esquisse de décor signée Kylián, et, peu à peu, s'installe une ébauche de danse. Bien que l'abstraction reste la règle, ils semblent raconter une histoire au propos parfois violent. Plusieurs niveaux d'action se développent sur la même scène et sur une musique sidéro-planante entrelardée de lecture de textes poétiques en français et en allemand (taoïques, bouddhiques, de Baudelaire avec L'Albatros et même de Barbara). La technique des danseurs est toujours superlative, l'intensité est sans relâche, un solo du jeune Bastien Zorzetto, déjà repéré dans Indigo Rose, épate et séduit. On peut penser que s'il est moins inspiré par ce genre de narration méditative, quand il s'y colle Kylián fait mieux que ses confrères.

Pour le NDT III, le chorégraphe suédois a créé en 2003 dans le cadre du Holland Dance Festival à La Haye une pièce deux heures, intitulée Tulips. Écrite pour son frère , sa femme l'Espagnole et le Français Yvan Auzély, Tulips vient à Paris interprétée par ses créateurs avec l'Allemande Sabine Kupferberg, pilier du NDT où elle est entrée en 1975 en même temps que Kylián et le Danois Egon Madsen, plus nouveau venu. Aucune chorégraphie de ne nous avait autant touchés depuis sa Carmen de 1992 qui est au répertoire du Ballet de l'Opéra de Lyon et bien sûr sa Giselle bien antérieure (1982) que le Ballet de l'Opéra de Paris, qui en est le dépositaire depuis 1993, reprend cette semaine. Par sa dimension théâtrale, shakespearienne même : a l'étoffe d'un Hamlet et la fragilité apparente d'une Ophélie. On laissera au bénéfice du doute la réalité d'un argument à cette longue pièce où les scènes dansées alternent dans un équilibre parfait avec celles purement théâtrales. On peut y voir seulement l'exploitation de thèmes, chers à , du rêve, de la folie, des rapports avec la mère, du désir. Le tout avec toujours le geste juste, un humour incisif, étrange, tantôt cruel, tantôt burlesque comme dans l'extraordinaire solo dansé par Laguna sur O sole mio. Le choix de la musique est pour beaucoup dans la réussite de cette pièce. Le collage comporte entre autres des pièces de Gorecki, Pärt, Grieg et dont « L'Adagio pour cordes » est le support de moments extraordinaires. Le dispositif du décor de Peter Freiij, la virtuosité des éclairages de Göran Westrup ajoutent à l'étrangeté de l'ensemble. Le vocabulaire choisi par Ek est assez reconnaissable avec ses pas glissés, sa grande demande physique et ses tonalités désespérées. On ne se risquera pas à détailler le talent des cinq interprètes ; tous sont superlatifs et chacun à sa manière empoigne le spectateur durant les deux heures de ce fascinant spectacle que l'on peut qualifier comme une des plus grandes réussites de théâtre dansé.

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