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Ballet Preljocaj avec Granular Synthesis : Voyage au bout de la nuit

Créateur prolixe, le Français d'origine albanaise a le don de se renouveler, chose rare dans le paysage chorégraphique français, d'une création à l'autre.

À chaque fois il sait trouver l'idée, la nouveauté qui vont trancher avec le spectacle précédent, tout en maintenant une continuité dans la ligne de son travail. On l'avait quitté en 2003 dans les régions qui procèdent à la création de l'être humain avec « Near Life Experience » créé à la Biennale de Venise. On le retrouve en Enfer, pour un voyage au bout de la nuit avec « N » créé cet été au Festival Montpellier Danse.

Faut-il entendre par « N » le signe de l'anonymat, de ce qui n'a pas encore ou déjà plus de nom, de ce qui est innommable ? Ou bien le signe phonétique pour la « haine » ? On est bien dans ce que la nature humaine recèle de plus bestial, dans cette pièce de soixante-treize minutes pour douze danseurs qui commence dans une pénombre où l'on distingue deux groupes de corps mêlés, charniers ou hommes et femmes endormis ? Chaque groupe est gardé par un homme qui rode autour d'eux et très vite, les deux s'affrontent, se battent comme des chiens gardiens de troupeaux. Petit à petit les corps émergent de ces tas et commence une étrange chorégraphie du désir violent, de la domination et soumission où les hommes semblent avoir le beau rôle à moins que l'obscurité qui persiste et flatte terriblement les corps au moyen d'éclairages d'une somptueuse qualité, ne permette pas de distinguer vraiment qui tient la laisse, qui donne le bâton. Quelques magnifiques solos et duos émergent d'une chorégraphie assez symétrique dans l'ensemble.

Á l'arrière, sur trois écrans, des images de synthèse justifient ou complètent l'action des danseurs. Magnifiques images en trois dimensions qui nous donnent à voir une armée de samouraï en mouvement, des corps flottant dans l'espace, des affrontements d'une violence et d'une rapidité qui ne permettent pas d'identifier ce qui est en conflit. La musique est une longue complainte qui commence par une note en pédale tenue qui s'enfle, devient rythmique comme la violence de la chorégraphie, obéit à un mouvement de crescendo. C'est le travail de deux artistes multimédias, respectivement allemand et autrichien, Kurt Hentschlager et , réunis sous le nom de Granular Synthesis. Les éclairages sont d'une intensité bouleversante, à la réserve près de la dernière séquence, trop agressive avec ses effets de stroboscope trop prolongés.

De ce spectacle, véritable mise en phase avec la douleur du monde, on ne sort pas indemne, il porte à la réflexion et à la gravité. Pour sa prochaine création, nous promet « Les quatre saisons » de Vivaldi, un changement d'humeur radical.

Crédit photographique : © Laurent Phillipe

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