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Un orchestre pour deux

Tea for two

Un cas de figure inédit pour l'ouverture de la saison symphonique à l'auditorium de Dijon : la réunion des orchestres de Besançon et du Duo/Dijon. En fait, ce concert d'« ouverture » à Dijon n'est qu'une avant-première du concert …de clôture du Festival de Besançon, programmé le samedi 2 octobre au Kursaal de la capitale franc-comtoise. C'est aussi, pour le public dijonnais, l'occasion de découvrir le nouveau directeur musical du Duo/Dijon, en la personne de et, s'il n'a pas eu, ce public, la curiosité d'aller les écouter dans leur fief, celle de faire la connaissance des musiciens de l'orchestre de Besançon et de leur chef, . Pour le premier, clarinettiste super-soliste de l'Opéra National de Paris-Bastille, ex soliste de l'orchestre du Capitole de Toulouse auprès de Michel Plasson, mais de plus en plus appelé à la direction d'orchestre et dans des répertoires variés : opéra, symphonique, contemporain (depuis 2002, il dirige l'ensemble Pythagore de Toulouse), sa nomination à Dijon n'est pas vraiment hasard ni surprise : il y fut déjà comme chef invité. Quant à , violoniste virtuose né en 1952 en Roumanie, ex directeur musical de l'orchestre « Musica Vitae » de Suède (de 1993 à 2002), il se consacre aujourd'hui essentiellement à la direction de l'orchestre de Besançon/Franche-Comté et se trouve, au C.N.S.M. de Lyon, titulaire de la classe de … direction d'orchestre. Il a déjà, par ailleurs, été appelé à diriger bien des orchestres – et non des moindres – un peu partout dans le monde, de Berlin à Tokyo.

Au menu de ce concert, des musiques dites « légères », c'est-à-dire n'appartenant pas au grand répertoire symphonique et qui connaissent généralement un franc succès populaire, telles ces trois Danses Slaves ( du premier recueil op. 46) de Dvorák ou la très « enlevée » et colorée Ouverture Cubaine de Gershwin, données en première partie, sous la direction pleine d'aisance et d'autorité de J.F. Verdier. Entre les deux, le beaucoup moins connu A Frenchman in New-York de Milhaud déroute quelque peu par son caractère sensiblement plus grave (et tellement éloigné du Milhaud de la Suite Provençale ou de La Création du Monde, par exemple). Cette pièce, vraisemblablement programmée en raison de son titre qui en fait , par manière de clin d'œil, la réplique inversée d'Un Américain à Paris , en dépit d'une orchestration intéressante, manque de thèmes « accrocheurs » ; ce qui explique peut-être son apparente mise aux oubliettes …

La seconde partie du programme est confiée à  ; ce qui entraîne la permutation des « chefs d'attaque » dans les pupitres de cordes. Le popularissime Tea for two de Chostakovitch, dans le même esprit que sa Jazz Suite donne le ton de cette soirée placée sous un signe binomial : deux villes, deux régions, deux orchestres, deux chefs … . Après quoi, c'est une double apothéose : celle des cordes, d'abord, remarquables dans les deux rhapsodies d'Enesco, fortement contrastées ; la première – la plus populaire – enjouée, aux rythmes endiablés, et la seconde, molto tranquilo, sereine et nostalgique, imprégnée de cette doïna roumaine, cette sorte de « blues » transylvanien, au chant émouvant. Avec Un Américain à Paris, c'est l'apothéose des cuivres (des vents, d'une façon générale) et des percussions déjà bien sollicitées dans l'Ouverture Cubaine, dans ce style « jazz symphonique » propre à Gershwin et qui rend ses musiques si plaisantes. Peter Csaba, qui ne ménage pas sa peine, conduit l'orchestre avec un bonheur aussi égal dans un genre que dans l'autre et montre autant d'habileté à ménager tel rubato des rhapsodies qu'à faire swinguer l'orchestre de Gershwin. Il ne s'agit pas d'établir des comparaisons stylistiques ni surtout de hiérarchiser les prestations de nos deux maestros, toutes deux de grande qualité. Aussi se partagent-ils équitablement, à l'applaudimètre, les faveurs du public.

Un public qui, à l'issue du concert, et devant une telle potentialité (près de quatre-vingt dix musiciens professionnels d'excellent niveau ainsi réunis), se demande – naïvement peut-être, mais légitimement – s'il n'y aurait pas moyen d'envisager, à terme, la création d'un bel orchestre symphonique interrégional, susceptible de combler la vacuité, en la matière, du « Grand Est » sur la ligne Strasbourg-Lyon … On peut toujours rêver ? Et chacun sait qu'une telle hypothèse, même reposant sur des bases crédibles, n'est pas seulement l'affaire des musiciens … encore moins celle du mélomane lambda.

Crédit photographique : © DR

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