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Benjamin Britten, songs avec orchestre

La soprano qui sert à foison et surtout avec bonheur les rôles les plus enlevés des opérettes d'Offenbach sur les plus grandes scènes européennes, aborde avec l' les cycles de mélodies orchestrales en langue française de Britten, alors que Phyllis Bryn-Julson, qui fit ses débuts en 1966 dans le rôle-titre de Lulu à Boston, livre Our Hunting Fathers, la partie anglophone du disque. La phalange et son chef captivent par leur sens des couleurs et l'équilibre – également imputable à la prise de son- qui laisse la part belle à la voix.

Se pencher sur la musique de Britten permet de découvrir un havre moderne dont les visées sont – aussi !- de séduire, de caresser l'oreille, de teindre d'une tendre beauté une époque qui sur le plan de la production artistique se pare peut-être trop systématiquement de noirceurs « engagées ». L'œuvre de Britten nous permet de nous relier à la modernité et de se laisser gagner par la féerie tout en restant ancré dans le XXe siècle.

Avec les Quatre chansons françaises sur des poèmes de Victor Hugo (Nuit de Juin, L'Enfance) ou Verlaine (Sagesse, Chanson d'automne) Britten signe un cycle d'essence éminemment mélodique dans un écrin musical pas encore marqué par toute sa riche personnalité musicale. Il est vrai qu'il s'agit en l'occurrence d'une œuvre de sa prime jeunesse (il n'avait alors que quinze ans !) et qui ne connut les honneurs d'une édition complète qu'après la mort du compositeur, en 1980. Si les opus plus tardifs consacrés à la voix soliste avec orchestre (ceux édités sur ce disque, tout comme la Sérénade pour ténor, cor et orchestre) sont plus typés « XXe siècle », ces quatre charmantes mélodies font en l'occurrence exception et rappellent parfois Ravel et Debussy, voire Les Nuits d'été de Berlioz.

Changement complet de ton avec les cinq chants de Our Hunting Father, op. 8 (1936). En 1935, Britten rencontre le poète W. H. Auden avec lequel il travaille pour le compte de GPO Film Unit, une institution qui se consacre alors aux films documentaires. Le succès de leurs premières collaborations cinématographiques amène les deux hommes à plancher sur d'autres projets. Cela aboutit au cycle précité, un cycle qui fit scandale à sa création en raison vraisemblablement des innombrables surprises qu'il ménage en matière de rythme, d'instrumentation et autres éclats de voix – et par voie de conséquence en matière de coloris – rappelant en cela la cantate intitulée Rejoice in the lambs, dont le texte provient d'un poète du XVIIIe siècle, Christopher Smart, longtemps interné pour trouble psychique au cours de son existence. Avec le texte de ce cycle, on est face à un qui s'est entouré d'un artiste qui, comme lui, est sensible à la période trouble qui n'en est encore qu'à ses prémisses, avec notamment l'éclatement de la Guerre d'Espagne. Les chants relatent la relation de l'Homme à l'Animal et par extension métaphorique de l'Homme à Lui-même, à sa condition, à ses responsabilités, sa cruauté… Difficile, hélas, de se nourrir de tout le substrat littéraire de l'œuvre lorsque la traduction française des textes fait défaut… Par contre, la soprano américaine Phyllis Bryn-Julson interprète ces pages chantées en anglais avec beaucoup d'expression et d'intensité. Il est plaisant de découvrir cette chanteuse dans ce répertoire très éclaté qu'elle aime manifestement prendre à bras le corps, sans concession.

Le disque se clôt avec les sublimes Illuminations d'Arthur Rimbaud que Britten acheva de mettre en musique en octobre 1939, alors exilé aux Etats-Unis. envoûte dès les premières mesures où elle déploie son chant et ses lignes élancées avec cette grâce et cette générosité qui nous atteint sans emprunter de détours par les arcanes de la préciosité. Sa diction française est, soulignons-le une nouvelle fois, sans faille. Elle se baigne dans l'univers musical de son compatriote que le chef placé à la tête de l' célèbre très habilement. serait-elle pour les songs de Britten l'équivalent féminin et posthume d'un Peter Pears ? Il est permis de le penser…

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