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Michel Merlet, L’Art du canon

Plus connu aujourd'hui comme pédagogue — il est professeur d'écriture au CNSMDP et enseigne la composition à l'Ecole Normale — n'en poursuit pas moins son activité de compositeur, en marge des courants actuels certes, mais fort d'un métier qui lui a valu en 1966 le grand prix de Rome et bon nombre d'autres récompenses (prix Jacques Durand, Sacem, prix international de Naples etc.. ).

Après un premier album chez Intégral consacré à ses 24 Préludes pour piano (par Eric Heidsieck), nous propose, dans le présent enregistrement, quatre œuvres de musique de chambre couvrant une large période de création allant de 1963 — il n'avait que 24 ans lorsqu'il compose la Sonate pour violon et piano — à 1990 (Suite pour trio à cordes). Servie par les plus grands artistes de notre temps, , et , sans toutefois nous faire oublier les qualités du , sa musique se pare de somptueuses sonorités donnant au discours toute sa chair et son grain.

Œuvre de jeunesse, la Sonate pour violon et piano en quatre mouvements semble jaillir de la plume du compositeur avec la fraîcheur de l'élan et l'appétit d'écrire et de combiner les lignes. Dans l'allegro initial, la phrase aérienne et très déliée du violon entraîne sans tarder le piano en canon. Le jeu piqué de la fugue du deuxième mouvement permet de sauvegarder la transparence et le caractère fantasque d'une écriture qui obéit scrupuleusement aux exigences du contrepoint. Résolument lyrique et tendue vers les aigus, la méditation centrale confiée au violon sur une simple pulsation harmonique du piano nous laisse sous le charme d'une sonorité souveraine et envoûtante. Avec une complicité malicieuse et un talent fou, Kantorow et Devoyon font du presto final un feu d'artifice éclatant où s'exercent la virtuosité spectaculaire du pianiste et le phrasé légèrement chaloupé du violon rejoignant ici le jeu quasi improvisé de la musique tzigane.

Crée lors du Festival de Nohant en 1979, Une soirée à Nohant sous titrée « Elégie pour violoncelle » est une longue et douloureuse ascension vers la lumière qu'assume le violoncelle épaulé puis relayé par le piano dans une combinatoire contrapuntique exemplaire. Totalement investi dans leur rôle respectif, et ici réunis donnent à cette page toute intérieure une intensité et un timbre des plus chaleureux. Etonnante plongée dans les arcanes de la matière sonore, la cadence centrale du violoncelle explore la dimension polyphonique de l'instrument sur divers modes de jeu tel que l'arpège en sons harmoniques, projetant au terme de cette sombre auscultation un rayon de lumière libérateur.

La Suite pour trio à cordes composée en 1990 s'articule en cinq mouvements dont le presto final ne parvient pas, malgré son sursaut d'énergie, à ramener la fraîcheur d'invention et la transparence de texture de la Sonate de jeunesse. La personnalité du compositeur semble au contraire s'effacer derrière un discours « obligé » qui se soumet davantage aux exigences du contrepoint et au systématisme de ses procédés.

Commande du Ministère de la Culture, le Trio opus 24 pour violon, violoncelle et piano, écrit en 1974, obéit lui aussi plus à la règle qu'au libre jeu de l'invention. Poursuivant une recherche quasi obsessionnelle de la conduite en canon dans les deux premiers mouvements, Merlet double la contrainte dans les deux pièces suivantes en amorçant des variations laborieuses sur le thème de la Passacaille — celle de Bach bien évidemment — pour terminer sur la corde « raide »— avec cette énergie qui finit par lasser — par un ostinato qui ne pourra s'arrêter qu'au sommet de « la transe », sans pitié pour l'oreille de l'auditeur soumise ici à rude épreuve.

Gageons que jouée au clavecin — car le trio admet une certaine mobilité au niveau de la formation instrumentale (clavecin, flûte et violoncelle ou clavecin, violon et violoncelle etc…) — la partition gagnerait en souplesse et en légèreté !

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