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Noces sanglantes

Rappelons, pour mémoire l’argument de La Fiancée du Tsar.

Griaznoï, membre des gardes du corps d’Ivan le Terrible a demandé, en vain, la main de Marfa, fille du commerçant Sobakin ; elle est promise à son ami d’enfance Ivan Lykov. C’est faire peu de cas de l’amour que lui voue Lioubiacha, bien décidée à le reconquérir. De son côté, Griaznoï ne désespère pas gagner l’amour de Marfa. S’ensuit alors une sombre histoire de philtre d’amour et de poison, négociée par l’une et l’autre partie auprès de l’apothicaire Bomelius (soupçonné de magie noire). Entre temps, on apprend que le Tsar Ivan a, lui aussi, jeté son dévolu sur la belle Marfa, alors même qu’elle s’apprête à convoler avec Lykov. On s’achemine alors inexorablement vers le drame de l’acte IV : à la suite d’un (prévisible) échange des philtres, Marfa sombre dans la folie et les coupables, dans le remords : Griaznoï poignarde Lioubiacha et demande pour lui-même un juste châtiment.

Considérant, avec raison, que cet opéra (dont on ne connaît, le plus souvent, que l’ouverture) se trouve, dans l’esprit des lyricomanes, « alourdi par bien des clichés de mise en scène qui en accompagnent pratiquement toutes les versions », le metteur en scène Dmitri Bertman tient à en renouveler la perception. « Une traîne poursuit l’œuvre », dit-il : « un genre de spectacle folklorique sans fin, avec danses et costumes de couleurs vives. Le cruel et féroce « oprichnik » d’Ivan le Terrible, Grigori Griaznoï, s’est transformé en un mécène tourmenté qui entretient chez lui un chœur polyphonique mixte, un ensemble de danses et de chants folkloriques et l’orchestre d’instruments traditionnels russes ». Aussi a-t-il choisi d’offrir une vision quasi shakespearienne de cette pièce, avec la volonté affirmée de « capter le chemin qui révèle l’âme de l’homme russe…/…dont la passion et l’amour planent au-dessus de l’obscurité de la Russie boisée du terrible Tsar ». Dans cette optique, sombres sont les décors (sobres et astucieusement modulables) et sombres les costumes : à dominante noire à parements d’or ou d’argent, et parmi lesquels contrasteront la robe et le voile (de la mariée) rouges de Marfa, devenus camisole de force dans les scènes finales. La musique de Rimsky-Korsakov, sans aucune mièvrerie, prend ainsi toute sa vigueur et son pouvoir d’évocation. La table des Boyards ou les mouvements de foule, très réalistes, renforcés par des effets de fumigènes (les vapeurs de l’ivresse? les brumes de la passion?) n’ont rien de folklorique. L’œuvre ainsi « dynamisée » nous entraîne loin des clichés édulcorés de la « vieille Russie », vers une imagerie à la Eisenstein ou, pour rester dans le domaine de l’opéra, dans un univers proche du Verdi de Macbeth.

Le plateau vocal nous comblerait, si ce n’était ce vibrato (désagréable à nos oreilles occidentales) de la soprano Ekaterina Trebeleba (Marfa), fort convaincante au demeurant dans son personnage. Mais saluons la superbe mezzo Larissa Kostiuk (Lioubiacha), remarquable comédienne de surcroît, et véritable » star de la Fiancée ». De même, nous auront particulièrement séduits les voix masculines de Sergei Moskolov (Griaznoï), baryton puissant et expressif, Nicolaï Dorojkin (Lykov), ténor qui s’accommode manifestement mieux de ce répertoire (et de sa langue maternelle) que du répertoire verdien, Alexander Kiselev (Sobakin), déjà remarqué, lui aussi, dans sa parfaite interprétation de Zaccaria, dans un récent Nabucco et Mikhail Gujov (Skuratov), autre basse noble et profonde…. Quant à l’orchestre, d’une parfaite cohésion et techniquement de haute tenue, dirigé par un Evgeny Brajnik ardent, qui s’entend à lui insuffler énergie et éloquence, il captive dès l’Ouverture.

Avec les artistes – inspirés – de l’Opéra-Théâtre Helikon de Moscou, Dijon aura encore vécu un grand moment d’opéra.

Crédit photographique : © Opéra-Théâtre Helikon de Moscou

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