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Sergey Khachatryan, un grand courant d’air frais

Gueule d'ange adolescent et frisé, tout droit sorti d'un tableau de Raphaël, paraît timide, presque gauche, lorsqu'il s'élance des coulisses. Svelte silhouette farouche, il empoigne son instrument ; la musique de Sibelius naît alors doucement du silence, le violon se pose sur le trémolo à peine perceptible des cordes. Le charme opère aussitôt. D'une pureté de trait exemplaire, presque immatériel à force de finesse, ce violon ne force jamais nuances ou phrasés. Le son est magnifique mais tenu dans les bornes rigoureuses d'un classicisme mesuré, introspectif ; les deux premiers mouvements, pris dans des tempos très modérés, se transforment ainsi en méditation orante, vibrante. Le musicien prend le temps de faire chanter chaque phrase sans jamais solliciter le texte qui s'écoule avec naturel, et les plus extrêmes difficultés semblent presque effleurées du bout de l'archet. Sans doute d'autres solistes font-ils plus d'effet(s) et l'on peut même dire, en un certain sens, que Khachatryan n'en fait aucun. Entièrement tourné vers la musique qu'il interprète, ce jeune violoniste n'a rien montré qui ressortisse au prodige d'estrade et cette approche toute de discrétion demande sans doute un effort de la part de l'auditeur. Khachatryan nous invite à le suivre mais ne nous force pas à l'écouter, c'est en ce sens l'anti-Vengerov. Mais il ne faudrait pas voir dans cette discrétion une quelconque timidité technique, la perfection d'intonation du Vingt-quatrième Caprice de Paganini donné en bis le prouve assez.

La rigueur et l'équilibre de la direction très attentive de Zdenek Macal se mariaient parfaitement à cette approche mesurée et sensible, sincère et attachante. Classicisme et rigueur semblent être d'ailleurs les qualificatifs les plus à même de définir l'art de Zdenek Macal, nouveau directeur de la mythique philharmonie tchèque. Sarka montre en effet une extrême élégance dans les équilibres sonores et la gestion des tempos, toujours très équilibrés. D'autres interprètes tchèques ont sans doute mis davantage en valeur la dimension épique de l'œuvre, mais la clarté de la sonorité d'orchestre et la pureté des phrasés sont en tous points remarquables. Œuvre populaire, la Symphonie « Du Nouveau Monde » de Dvorák n'est pas pour autant une œuvre facile et ses interprétations réussies, au concert comme au disque, sont relativement rares. Certes, on peut penser que Zdenek Macal fait sans aucun doute partie des chefs actuels les plus à même de comprendre ce répertoire, mais, sans vouloir utiliser le terme fort dangereux d'» authenticité », on peut dire que sa conception épurée et dynamique de la partition est en tout cas magnifiquement vivante. L'œuvre entière semble parcourue d'un grand courant d'air frais qui circule entre les pupitres, d'une vie frémissante et nerveuse. Très attentive aux équilibres sonores, avec des cordes toujours audibles dans les tutti et des bois d'une grande présence, la direction du chef tchèque met en lumière la belle clarté de texture sonore de l'orchestre du Capitole. Aucune lourdeur, au contraire, une nervosité des rythmes, un rubato parfaitement dosé qui met en relief toute la fraîcheur de l'inspiration du compositeur.

Bref, un concert magnifique, sans doute pas « impressionnant » et c'est tant mieux, car l'humilité face aux œuvres ne peut bien sûr aboutir à la recherche d'effets extérieurs, mais qui laissait la musique respirer avec naturel et générosité.

Credit photographique : © DR

 

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