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Décembre, mois Furtwängler !

Wilhelm Furtwängler

Pour rendre hommage au « plus grand chef d’orchestre du XX ème siècle », décédé il y a cinquante ans, ARTE, RADIO CLASSIQUE puis MEZZO diffusent documentaires et émissions à partir du 18 décembre. Chaque media dévoile un aspect de la carrière d’un génie visionnaire qui fit le choix de rester au cœur de l’Allemagne nazie. Panorama des émissions à ne pas manquer.

Radio Classique
Samedi 18 décembre à 22h00
SOIREE WILHELM FURTWÄNGLER

Hommages pour le cinquantenaire de la mort du chef allemand.

Radio Classique : « da capo »

Cinquantenaire de sa disparition. 3è volet de la série d’hommages dédiés par Radio Classsique à la figure légendaire du chef d’orchestre lequel dirige ce soir : Beethoven, Brahms, Bach, Blacher et Bruckner (à 23h30 : Symphonie N°7 : 2 ème mouvement).

ARTE : « A la recherche de l’Allemagne perdue ».

Documentaire 2003 : 58 mn, réalisateur Olivier Becker.

Samedi 18 décembre à 22h30, la chaîne culturelle participe à son tour à l’actualité Furtwängler et célèbre à sa façon le cinquantenaire de sa mort. Tout au long de ce documentaire très illustré (images d’archives, bande sonore, captations des concerts du chef…), ce sont pourtant les images des paysages (ruraux, urbains, humains) qui symboliquement donnent la clé du propos. Incendies du début, rituels collectifs du délire nazi, puis terres désolées enfin vues d’une Allemagne post hitlérienne, reconstituée mais balafrée à peine cicatrisée…

Dès le début de son film, le réalisateur Olivier Becker nous plonge dans les eaux mêlées d’une époque brûlée par le vent de l’histoire et dont il expose clairement deux faits essentiels à notre compréhension du toujours « actuel et tenace », « cas Furtwängler » : d’une part, le besoin de références vivantes de la propagande hitlérienne afin d’édifier la gloire du IIIème Reich ; d’autre part, la carrure visionnaire et géniale d’un chef d’orchestre – Furtwängler –, soucieux d’exprimer la grandeur éternelle des compositeurs allemands qu’il aborde au concert. Inutile de dire combien – et le film y parvient parfaitement –, l’excellence défendue par l’artiste a correspondu idéalement au fantasme mégalomaniaque du régime de l’infamie… Une question se précise alors insistant sur les rapports inéluctables de l’art et de la politique : jusqu’à quel point Furtwängler était-il conscient d’être manipulé ?

Les « témoins » réunis pour la défense de « Furt » dévoilent d’incontestables arguments : Sir Simon Rattle, soi-même, ne cache pas son admiration pour Furtwängler. Il reconnaît qu’il n’existe aucun grand chef qui n’ait été inspiré par le chef Allemand. Stature de commandeur, géant visionnaire, « Jupiter chauve » descendu de l’Olympe : l’évidence crève l’écran. Furtwängler n’avait rien de commun avec ses semblables. Les musiciens de l’orchestre se souviennent de ses colères et de ses emportements terrifiants, capables de fasciner pour obtenir la sonorité juste.

Le voir diriger, à pleines mains, s’agitant, comme possédé par une vison intérieure, le regard fixe et pénétrant, nous laisse encore déconcertés. L’homme est devenu un mythe dont la conception de la musique a suscité une irrésistible attraction. Beethoven, Wagner, entre autres, ont retrouvé sous sa baguette cette gloire immortelle dont la nation comme le système tyranique, avaient tant besoin. D’ailleurs, revoir les films d’archives de la télévision hitlérienne donne le frisson : un concert de 1942 dans les usines du III ème Reich, où Furtwängler manifestement très habité dirige l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Wagner devant les ouvriers de l’empire barbare et sous les croix gammées, nous rappelle aussi que c’est justement à cette période – 1942/1945 – qu’il a donné le meilleur de lui-même. Et pourtant au-delà du contexte, les performances du chef continue de nous offrir un modèle absolu.

La dernière partie du film est la plus passionnante. Sous le masque du colosse, perce un autre visage plus émouvant, celui d’un homme déchiré dont « le souffle et la générosité révèlent la souffrance d’un honnête homme, pris au piège d’un labyrinthe psychologique des plus douloureux » (Sir Simon Rattle). Avait-il conscience d’être devenu, malgré lui, le « général du diable ? ». Finalement c’est le peintre Oscar Kokoshka qui brosse le portrait du prophète, capable de paroles stupéfiantes sur le devenir et le sens de la culture occidentale en ses heures les plus sombres.

Cinquante ans après sa mort, Furtwängler continue de susciter les passions : grâce à l’indiscutable aura du chef légendaire, à cause aussi de sa récupération si honteuse par les nazis. Saluons à nouveau le courage d’Arte, d’aborder avec tact mais clarté l’un des dossiers les plus sensibles de l’histoire musicale.

N’oubliez pas non plus que Mezzo diffuse à son tour un documentaire tout aussi captivant le 29 décembre à 22h (rediffusion le 31 décembre à 16h35) : idéal complément au film d’Olivier Becker, le montage signé Aurine Crémieux fait parler pour sa part les proches du « maestro ». Il en découle un Furtwängler moins « contextualisé » et plus intime (lire notre critique du film ICI).

MEZZO : « Epilogue »

Documentaire 2004, 25 mn. Réalisatrice : Aurine Crémieu

Mercredi 29 décembre à 22h. Ce documentaire plutôt réussi, milite pour la réhabilitation toujours difficile d’un chef que pourtant deux procès instruits pendant la dénazification ont blanchi mais qui demeure injustement suspect. C’est un Furtwängler intime, vu par ses proches, essentiellement son épouse Elisabeth et leurs cinq enfants, que la réalisatrice Aurine Crémieu dévoile, sans omettre les autres aspects de l’homme, aspects plus polémiques : ses rapports avec le régime de l’infamie, les raisons qui ont motivé sa décision de rester au cœur de l’Allemagne nazie.

Sur un chant d’oiseau presque anodin, d’une légèreté cristalline – à l’image du film dont beaucoup de séquences filmées en Suisse, la terre d’accueil de la famille Furtwängler, apportent une fraîcheur vivifiante d’autant plus appréciable pour un sujet « sérieux » -, s’inscrivent pour préambule, comme une intention déclarée, les huit lettres du titre : « épilogue ». Epilogue comme conclusion ou point final sur « le cas Furtwängler ». Collaborateur complaisant, amnésique politique ou génie de la musique, incompris et visionnaire, qui né Allemand, aurait décidé d’élire la musique comme une arme de résistance absolue, aidant tous ceux – clandestins ou condamnés à fuir pour survivre-, qui se présentaient à lui ? 

Relié à l’actuelle exposition que la Cité de la Musique présente sur la musique et le IIIe Reich, le film pose la question essentielle dans le cas de Wilhelm Furtwängler, de l’art et de la politique. Ce qui est un comble pour un homme qui toujours ne souhaitait pas s’en mêler. Sa fille Kathrin donne le ton : « pourquoi n’a-t-on jamais compris que né Allemand, il a souhaité résister en restant simplement chez lui ? ». Son épouse Elisabeth et ses fils, Thomas, Peter, Christoph et Andreas précisent le portrait d’un mari aimant, d’un père exigeant et présent, amoureux des arts, doutant de lui, qui avant de diriger faisait montre d’une décontraction admirable, « d’une concentration souple et profonde » au moment des concerts (dixit sa fille) et pour lequel la « Missa Solemnis » de Beethoven était un sommet indicible dont il ne parvenait pas à restituer la vision qu’il en avait.

Celui qui se disait « compositeur qui dirige et non chef qui compose » ne cesse de fasciner en particulier tous les chefs qui ont percé après lui, de Karajan à Abbado.

Sans forcer la défense, le film d’Aurine Crémieux trouve le ton juste du témoignage. Il a le mérite aussi de poser les questions qui fâchent mais qu’on doit résoudre pourtant, définitivement pour traiter d’autres questions plus intéressantes, telle : qu’en est-il de l’œuvre du Furtwängler compositeur ? 

(Rediffusion : vendredi 31 décembre à 16h35)

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