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Les Ouvertures de Beethoven : Pour un jour de fête op.115

Il nous faut, à présent, aborder deux ouvertures que d’aucuns rangent parmi les œuvres les moins intéressantes de Beethoven, même si un tel jugement doit bien sûr être nuancé.

Commencée en 1814 en l’honneur de la fête de l’Empereur François I°, l’ouverture Zur Namensfeier (Pour un jour de fête) op. 115 est achevée en 1815 et créée le 25 décembre de la même année. La première édition, en 1825, contient une dédicace au prince Anton Radziwill. Œuvre de circonstance, elle développerait semble-t-il une idée prévue à l’origine pour l’Ode à la joie de Schiller. On sait que Beethoven avait commencé dès l’automne 1792 à mettre en musique ce qui sonnait pour beaucoup comme une Marseillaise allemande, mais qu’il ne mena à bien son projet qu’en mai 1824 dans sa fameuse Neuvième symphonie. Assez curieusement, la première édition française affublait l’œuvre du titre « La Chasse ».

Mais, inutile de se perdre en conjectures : plus que la recherche hypothétique d’une idée musicale pouvant se rattacher à l’univers de la Neuvième symphonie, ce qui frappe ici est avant tout l’utilisation faite de certains procédés de l’ouverture baroque, comme la présence de rythmes pointés dans le Maestoso initial.

Introduction (4/4 Maestoso)

En effet, bien plus que dans la Consécration de la maison que l’on a coutume de rapprocher de Hændel -nous y reviendrons plus loin- l’introduction très martiale, rythme de marche bien marqué, évoque les ouvertures « à la française ». Un premier élément en do majeur, très fortement accentué par la répétition emphatique de la tonique –do– par les cors, trompettes et timbales, se termine par un repos sur la dominante en decrescendo.

Puis, après un accord bref des cors et trompettes, le conséquent se fait entendre, mélodique, piano, aux cors (mesure 3 à 0’18) :

Ce thème s’arrête aussitôt, à nouveau sur un accord de dominante, pour laisser la place à des gammes rapides en triples-croches aux violons I et II. Le premier élément est rejoué (mesure 6 à 0’37) et s’arrête, cette fois-ci, sur la sous-dominante fa. La seconde phrase est alors reprise, d’abord par les violons II (mesure 8 à 0’56) puis, deux temps plus tard, par les violons I qui brodent une série d’ornements rapides avec quelques emprunts. Mesure 11 (1’20), les violoncelles et contrebasses s’en emparent à leur tour en volutes virtuoses tandis que les trompettes et cors superposent en crescendo le premier élément. On retrouve tout à fait, dans ces superpositions de mélodies gracieuses et de rythmes altiers, l’ambiance des mouvements lents des deux premières symphonies. Le crescendo aboutit à un forte mesure 14 (1’38) et les violons reprennent le thème initial. Aussitôt la phrase retombe en un decrescendo qui aboutit, pianissimo poco ritardando, à un point d’orgue (mesure 16 à 2’03) qui annonce l’exposition …

Exposition (6/8 Allegro assai vivace)

S’il existe, bien sûr, d’autres mouvements rapides en 6/8 chez Beethoven, la chose est par contre plus rare dans une forme-sonate, seul le premier mouvement de la Septième symphonie (1812) en offrant un exemple. Et, de même que dans la symphonie une cellule rythmique unique donne naissance à toutes les mélodies, on retrouve l’esprit du premier thème partout dans l’ouverture. Ce thème A1 présente d’ailleurs une construction complexe qu’il convient de détailler. La première phrase (A’) est basée sur un curieux déhanchement des rythmes dans sa première partie (mesure 17 à 20 à partir de 2’06), sorte d’irrésolution boiteuse loin de l’énergie que l’on prête habituellement aux thèmes beethovéniens :

Ces quatre premières mesures un peu étranges cèdent le pas à une phrase plus sévère (A’’mesure 20 à 2’10), très simple, qui donne lieu à des entrées en imitation de mesure en mesure : violons I, violons II, altos, basses, hautbois, clarinettes, bassons, puis flûte I qui le développe durant quelques mesures en un flot continu de croches, suivie par le hautbois et le basson. L’accompagnement des cordes (altos puis violons) se fait sur une mélodie legato d’une grande simplicité (A2 mesure 29 à 2’17) qui s’oppose au dynamisme du thème principal :

Mesure 37 (2’24) les cordes reprennent A’en crescendo, puis le rythme se disloque, s’accélère en liés par deux qui enjambent les mesures (mesure 41 à 2’28). Cette dislocation rythmique, génératrice d’un tension, accompagne le crescendo qui amène à la répétition, mesure 45, de la partie initiale A’forte par tout l’orchestre, avec cette fois-ci une amplification de cet étrange rythme comme suspendu, soutenu par des accents sforzando (2’31). A’’retentit alors dans tout son évidence (mesure 53 à 2’38) avant de se conclure sur un accord de sol majeur qui semble indiquer une modulation à venir (mesure 59 à 2’44). Une codetta autour de ce thème A’joue pendant quelques mesures sur cette ambiguïté tonale en alternant fa dièse et fa naturel aux cordes et bois avant de conclure à nouveau en sol majeur.

Une nouvelle phrase en sol majeur commence aussitôt aux hautbois et bassons (mesure 71 à 2’55). Mais, plutôt que d’un véritable nouveau thème, il s’agit plutôt d’une phrase de transition (A3) en deux parties -la dernière fortement accentuée par un accord en tutti forte– qui réutilise la même cellule rythmique que le thème A (des croches staccato) :

Elle est répétée deux fois, puis à la cellule rythmique de A se superpose un nouveau thème, plus lyrique, à l’harmonie mouvante et très proche du thème A2, aux cordes (B1 mesure 79 à 3’02) puis aux bois :

La cellule rythmique disparaît et B1 est développé par les cordes pour devenir, véritablement, un nouveau thème indépendant de tout référence à A (B2 mesure 87 à 3’09) :

On voit donc très clairement ici comment un thème naît d’un autre par variation et amplification : un thème rythmique, forte, staccato, donne naissance par étapes successives à un thème plus mélodique, piano et legato.

B2 est repris par les bois, puis les cordes retrouvent sur un crescendo le rythme des croches du thème initial (mesure 95 à 3’16) et aboutissent mesure 99 (3’20) à un tutti forte qui reprend vraiment l’élan rythmique du début. Le son s’enfle encore en un fortissimo (mesure 104 à 3’23) qui aboutit au développement …

Développement

Le rythme trébuchant de A1 est d’abord développé sur une alternance forte/piano (mesure 109 à 3’28) opposant cordes et bois. Mesure 129 (3’46), A3 est à son tour développé en une montée modulant dans diverses tonalités (la majeur, fa majeur, do majeur, sol majeur). On entend nettement par la juxtaposition de ces deux phrases qu’elles procèdent bien de la même idée et sont nées de la même cellule. A3 se ressasse (mesure 151 à 4’05) avant de se transformer, après un sempre più piano (mesure 157 à 4’10), en une phrase legato qui aboutit à un nouveau et bref crescendo qui retrouve le thème A1 (mesure 165 à 4’17), c’est la réexposition …

Reexposition

La fin de A1 (A’’) donne lieu à un développement en crescendo sur un trémolo des cordes (mesure 174 à 4’25) qui donne, comme dans l’exposition, sur l’amplification de A’(mesure 182 à 4’32). On retrouve A’’(mesure 189 à 4’39) en entrée en imitations, A3 (mesure 209 à 4’57), puis B1 (mesure 217 à 5’03) et B2 (mesure 225 à 5’10) en do majeur comme il convient. La phrase de conclusion, qui ouvrait sur le développement dans l’exposition, est également reprise (mesure 241 à 5’24) et, cette fois-ci, introduit la coda …

Coda

Elle débute par un accord de septième de dominante fortissimo, qui annonce une modulation en sol majeur (mesure 245 à 5’29). La cellule rythmique initiale de A’’est alors ressassée par les basses autour de la cadence parfaite de sol majeur, puis reprise par les vents (mesure 255 à 5’36). Mesure 261, les basses entrent à nouveau sur A’’, puis évoluent vers fa majeur et le déhanchement caractéristique de A’s’oppose à la netteté de A’’aux bois (mesure 263 à 5’42). Ce conflit s’interrompt brutalement sur une demi-cadence de do majeur (arrêt sur l’accord de sol majeur). Un pianissimo subit (mesure 269 à 5’49) nous fait retrouver A’en fa majeur sur un accompagnement de croches de la cellule A’’, mais ces phrases sont à présent mélangées et non plus opposées. La répétition s’enfle et les croches, en trémolos crescendo, débouchent sur l’arpège et la gamme de do majeur, d’abord liés (mesure 281è 5’59) puis détachés (mesure 289 à 6’06). Une nouvelle opposition diminuendo/crescendo mène à la péroraison dont le thème (mesure 297 à 6’12, partie de cor) :

présente une très forte ressemblance avec la coda de la Neuvième symphonie (4° mouvement Prestissimo, mesure 918) :

dont il paraît être la version ternaire et en ut majeur. Ce thème est d’abord joué lié puis détaché (mesure 305 à 6’20). Enfin, la reprise de A1 fortissimo (mesure 313 à 6’26) conclue cette longue coda.

La Consécration de la maison op. 124

Contexte de la création

Quelques années plus tard, en 1822, on commanda à Carl Meisl une adaptation des Ruines d’Athènes de Kotzebue pour l’inauguration à Vienne du nouveau Josephstadttheater ; il s’agissait tout simplement de remplacer Pest par Vienne comme asile des muses grecques. Mais l’éviction de Kotzebue -mort depuis- répondait également à des raisons politiques, Beethoven s’étant irrité de ses opinions anti-démocratiques. Le compositeur adapta également sa musique de scène pour laquelle il écrivit une nouvelle ouverture et un chœur avec soprano solo (WoO 98). Rebaptisée Die Weihe des Hauses (La Consécration de la maison) op. 124, la pièce fut créée le 3 octobre 1822 avec un très grand succès, alors même que l’exécution connut d’importantes difficultés : Beethoven avait insisté pour diriger la première alors que, complètement sourd, il n’entendait plus l’orchestre. Mais les viennois lui firent un accueil chaleureux, rendant ainsi hommage à leur enfant terrible, élevé à la dignité de citoyen d’honneur de la ville de Vienne le 16 novembre 1815. Alors âgé de 52 ans, Beethoven venait de composer ses Sonates N° 31 op. 110 et N° 32 op. 111, travaillait aux Variations Diabelli et esquissait ses Neuvième et Dixième symphonies.

Entre-temps, on l’a dit, la guerre d’indépendance de la Grèce avait enflammé les esprits et toute l’intelligentsia européenne avait pris fait et causes pour les révolutionnaires, dans un souffle de liberté qui agaçait l’Autriche conservatrice.

De façon pas du tout innocente, Beethoven lie dans cette ouverture l’idée de la Grèce mère de l’art allemand à un hommage à Georg Friedrich Hændel. On pourrait dire que si la Grèce est alors vue comme le commencement de la civilisation et l’inspiratrice de l’art allemand, Hændel est lui considéré comme le père de la musique allemande, davantage sans doute que Bach à l’époque. Beethoven avait découvert Hændel dans les années 1790 grâce au baron van Swieten et il était devenu depuis son compositeur préféré, devançant même Mozart. Il faut dire qu’en plus de la leçon dramatique qu’il donn dans ses œuvres, le caractère indépendant et indomptable du Saxon avait de quoi séduire. De plus, cette dimension esthétique se double certainement dans l’esprit de Beethoven d’une idée plus politique, les cercles révolutionnaires ayant adopté comme hymne le chœur « See the conqu’ring hero comes » de Judas Maccabeus, où figurent ces mots fameux : « la liberté ou la mort ». En 1796, il avait choisi ce même chœur comme point de départ de ses Variations pour violoncelle et piano WoO 45 et voulait depuis longtemps rendre hommage à son prédécesseur. Même s’il déclara n’être pas entièrement satisfait de l’œuvre, Beethoven y tenait cependant assez pour la mettre au programme du concert de la création de la Neuvième symphonie, le 7 mai 1824. La partition fut publiée en 1825.

Introduction lente (4/4 Maestoso et sostenueto)

L’introduction lente commence par une succession de cinq accords accentués et staccato qui posent de façon marquée la tonalité de do majeur : une cadence parfaite suivie d’une demi-cadence. En fait, cette succession n’est pas forcément compatible avec l’idée d’imitation hændelienne ; on la rencontre rarement chez le saxon, pour qui l’accord initial de tonique débouche sur une succession de notes rapides qui lancent le rythme « à la française » avec ses notes doublement pointées caractéristiques. Elle par contre typiquement beethovénienne, on la trouve déjà dans l’ouverture des Créatures de Prométhée, d’une façon différente dans Egmont, mais aussi dans nombre de symphonies (N°1, N°3, N°5, N°7) où l’accord générateur d’un élan fait naître le mouvement donnant naissance au thème.

Un premier thème se détache ensuite aux bois, accompagnés par les cors et soutenus par les timbales et trompettes (mesure 4 à 0’12). Majestueux et pas peu solennel, il utilise, il est vrai les rythmes doublement pointés, mais d’une façon très mesurée ; son allure générale lente et peu rythmique, quasi hymnique, le rapproche en effet d’une certaine conception hændelienne de la solennité musicale. Mais l’utilisation parcimonieuse des rythmes pointés, bien moins présents ici que dans l’ouverture Namensfeier, sonne plutôt comme une allusion au style baroque que comme un véritable effort d’imitation.

Ce thème se déploie dignement en un crescendo soutenu par les rythmes de marche des trompettes et timbales :

puis est repris più forte à l’octave supérieure par les cordes, jusqu’ici confinées au rôle d’accompagnement (mesure 20 à 1’11).

Après un fortissimo, une cadence parfaite enchaîne aussitôt (mesure 37 à 2’13) sur un nouvel élément, fanfare Un poco più vivace d’une vingtaine de mesures scandée par l’opposition tonique (do)/dominante (sol).

La virtuose partie de basson qui, à partir de la mesure 41 (2’21), déroule ses doubles-croches ininterrompues, paraît effectivement faire référence au style baroque, même si, en elle-même, cette marche semble tout de même très proche stylistiquement de celle composée par Mozart pour sa Clemenza di Tito (N°4).

Assez étonnamment, cette fanfare puissante ne semble déboucher sur rien. Pas d’explosion, en effet, mais, après un piano subit, la fanfare s’arrête brusquement sur une demi-cadence et s’enchaîne à un troisième élément, Meno mosso (mesure 55 à 2’49) brusquement en sol majeur :

Ce thème des violons, succession de gammes sur un accompagnement rapide des altos, violoncelles et contrebasses, semble reprendre la ligne des bassons de la marche précédente. Puis, à chaque mesure, succède une nouvelle entrée : violons II (mesure 56) ; hautbois (mesure 57 sans la noire liée) ; bassons (mesure 58) ; violoncelles (mesure 59). À la mesure 61 (3’08), nouvelle entrée des cordes, toutes les voix se rejoignent pour donner en même temps le thème sur un crescendo qui aboutit à un fortissimo sur le dernier temps de la mesure 64 (3’17). La gamme alors se fractionne en bribes de doubles-croches soutenues par le rythme de marche des trompettes et timbales :

Puis un diminuendo, et tout semble s’arrêter mesure 71 (3’35) sur un piano sempre diminuendo ; les cordes seules entament alors une phrase d’attente, piano. Un silence (mesure 79 à 4’01) et les bribes de gammes reprennent à partir de la note sol, mais en do majeur cette fois. Montant puis descendant, avec une réponse en écho des bois, cet élément s’accélère peu à peu –poco a poco strigendo il tempo. Les violons I, seuls, continuent dans l’élan et enchaînent sur l’Exposition …

Exposition (4/4 Allegro con brio)

Accentué par des sforzandos sur les temps faibles, ce premier thème (mesure 89 à 4’26) avance avec vigueur. Plus rythmique que mélodique, il représente sans doute un équivalent musical de la virtus latine, énergie vitale mais aussi force morale des héros. Le contre-sujet, phrase des violons II d’abord en valeurs longues, une simple gamme en fait, accentue les temps faibles, créant ainsi un déséquilibre rythmique qui saute au-delà des barres de mesures :

Puis, à partir de la mesure 93 (4’31), le contre-sujet laisse la place à des doubles-croches qui soulignent l’énergie du sujet. Mesure suivante les violoncelles et bassons exposent la réponse à la quinte (sauf la première note qui est à la quarte : réponse tonale, à 4’34), les premiers violons rejoignent alors les seconds dans leur course effrénée. Mesure 99 (4’42), c’est au tour des contrebasses de reprendre le sujet, doublées à partir de la mesure suivante par les violoncelles puis le basson (mesure 103 à 4’47). Mesure 105 (4’51), les violons I redonnent la réponse, aboutissant à la tonalité de sol majeur. Les registres s’inversent, c’est alors aux violoncelles et contrebasses d’exposer le contre-sujet avant de reprendre leur course mesure 107 (4’56) pour aboutir à un premier climax mesure 110 (5’00), accord fortissimo de l’harmonie soutenu par un roulement de timbales, qui marque de façon particulièrement dynamique l’entrée du sujet aux bois. Cette péroraison culmine mesure 119 (5’14) avec la réponse des altos et violoncelles. Cette première partie pleine d’enthousiasme se termine de façon inattendue par un decrescendo qui aboutit à un piano mesure 126 (5’25). Un si bémol nous fait passer brusquement dans la tonalité de fa majeur.

Développement

Il conviendrait mieux, cependant, de parler de divertissement, en restant dans la terminologie propre à la fugue, pour qualifier cette partie modulante où le contrepoint se fait moins strict. Les seconds violons exposent le sujet en fa majeur, suivis par les violons I à l’octave supérieure (mesure 127 à 5’26). Puis cordes et bois s’échangent le sujet (mesure 131 à 5’33) en un dialogue modulant, passant sans s’y arrêter dans diverses tonalités : sol majeur, do majeur, mi majeur, la mineur, avant de revenir de façon plus longue à mi mineur. Lorsque cette nouvelle tonalité semble s’installer, le cilamt sapaîse, mais un crescendo donne un regain d’énergie et l’orchestration s’étoffe (mesure 149 à 6’05). Après un bref passage en sol majeur (mes. 153 à 6’11), la tonalité revient aussitôt en mi mineur, dont les gammes courent entre les parties (mesure 155 à 6’16), puis un trémolo des cordes débouche sur le retour triomphal de do majeur (mesure 159 à 6’21). La première cellule du sujet se ressasse alors durant sept mesures avant de revenir en mi mineur sur un Fortepiano (mesure 167 à 6’34). Le thème, que s’échangent flûte et hautbois, se déchire entre forte et piano tandis que de nouveaux trémolos des cordes essaient d’imposer mi mineur sur les basses de la cadence parfaite. Mesure 175 (6’48) tout s’arrête sur un long mi des flûtes, tandis que les clarinettes puis les cors redescendent vers la tonalité de do majeur.

Réexposition

Mesure 177 (6’51), le sujet reprend, pianissimo, accompagné de la partie rapide du contre-sujet. Les entrée des voix se rapprochent : ce procédé s’appelle une strette. La réponse est à nouveau donnée par les violoncelles, vraiment à la quinte cette fois-ci (mesure 179 à 6’55), puis, mesure suivante, par la flûte. Le sujet est rejoué aux contrebasses mesure 182, suivis d’entrées partielles aux altos (troisième temps mesure 182), seconds violons (mesure 183) et violons I (mesure 184) sur un crescendo qui emprunte à fa majeur avant d’arriver fortissimo en sol majeur (mesure 186 à 7’06). Le sujet reparaît alors en un do majeur martial aux altos et violoncelles, suivis des violons I (mesure 188) auxquels viennent s’ajouter les bois (mesure 190). Toujours fortement scandé par des sforzandos, la phrase descend d’abord lentement, s’accélère, avant de se réduire peu à peu à sa cellule rythmique puis à une simple gamme descendante (mesure 199 à 7’28). Tout s’arrête sur deux accords fortissimo, amorce d’une cadence rompue qui semble vouloir moduler abruptement vers sol majeur (mesure 201 à 7’34).

Coda

Une nouvelle cadence Adagio ben marcato (mesure 203 à 7’40) retrouve do majeur et interrompt cette tentative de modulation. Mais cette cadence est à son tour rompue et le Tempo I (mesure 204 à 7’46) s’ouvre aux basses sur un si bémol qui introduit sans ménagement la tonalité de fa majeur, tout en retrouvant le mouvement trépidant de l’Allegro initial. C’est le signal d’une sorte de dérèglement harmonique : la mesure 210 (7’56) passe en sol majeur puis la cellule rythmique primitive du sujet, donnée aux basses, semble coincée en la bémol majeur tandis que les violons I et II s’égarent en ré bémol majeur dans une succession de tierces doublées par les bois et les altos. On notera le frottement harmonique entre le sol naturel à la basse et le sol bémol des voix supérieures :

Mesure 218 (8’10), s’amorce un retour à la tonalité de do majeur par des accords en trémolos des cordes sur un crescendo qui conduit à la reprise du thème aux bois, portés par des accents sforzando. Peu à peu, ces trémolos des cordes dessinent une figure mélodique qui donne naissance à un nouvel élément très bref -trois mesures à peine (mesure 226 à 8’22)- aux appogiatures « à la turque », aussitôt interrompu par une nouvelle cadence empruntant à sol majeur. Le sujet repart pianissimo (mesure 230 à 8’29) dans un jeu de réponse entre violons II, altos et violons I, s’enfle peu à peu en un nouveau crescendo et aboutit mesure 239 (8’45) à un fortissimo avec un nouveau changement de tonalité. On passe en fa majeur l’espace de quatre mesures avant que deux sforzandos n’appuient le retour du sujet aux cordes graves (contrebasses, violoncelles et altos) et aux bois dans la tonalité initiale (mesure 244 à 8’53). Ces mêmes sforzandos accentuent le déséquilibre de la fuite des doubles-croches de la réponse (jouée donc sur les doubles-croches du contre-sujet) aux violons. Mesure 254 (9’09), de grandes gammes des violons donnent l’impression que la cadence finale arrive ; un accord de la bémol fortissimo (mesure 258 à 9’16)) -réduit à deux notes, la bémol aux cordes et do au bois- brise cette attente et l’élan de la tonalité. Le sujet reprend piano aux bois, aussitôt interrompu par un accord fortissimo sur la bémol. La flûte refait un timide essai, en la bémol majeur cette fois, mais les cordes jouent alors la bécarre et repartent crescendo en do majeur avec un rythme à nouveau trépidant (mesure 265 à 9’28). Enfin, ce crescendo aboutit fortissimo à ce que l’on attendait depuis si longtemps : de grands arpèges de l’accord de do majeur (mesure 273 à 9’41). La cellule principale du sujet, libérée de toute entrave harmonique ou rythmique, conclut triomphalement la coda dans une atmosphère très proche du finale de la Neuvième symphonie.

Conclusion

Beethoven, l’ancien et le moderne.

Il peut paraître surprenant, du strict point de vue biographique et chronologique, de conclure ce premier chapitre sur deux œuvres aussi tardives. Elles s’inscrivent pourtant bien dans une certaine recherche propre au classicisme beethovénien : après avoir poussé à ses limites la structure et la conception de l’ouverture, Beethoven revient au modèle hændelien comme si son interrogation sur le futur de la forme l’avait poussé à sonder son passé. Brahms, intimidé par l’esprit novateur de son aîné, fera d’ailleurs de même bien des années plus tard. Mais encore faut-il précisément comprendre ce que l’œuvre doit à Hændel et se demander si la référence à l’écriture baroque est aussi prégnante qu’on le dit souvent.

Il est assez étonnant, en effet, que par quelques analogies générales et le simple fait que Beethoven lui-même ait déclaré s’être intéressé alors à Hændel, on ait pu voir dans La Consécration de la maison un simple imitation du style baroque, certains parlant même d’œuvre « néo-baroque  ». Certes, il s’agit d’un cas, rare chez Beethoven, de mouvement monothématique entièrement fugué mais il est impossible de ne pas voir les profondes différences qui séparent son écriture de celle de son modèle supposé. D’abord, bien sûr, l’instrumentarium, plus chargé même que dans la Neuvième symphonie, ne correspond en rien à l’orchestration baroque : en plus des cordes, se rajoutent trombones basse, ténor et alto, timbales, trompettes, 4 cors, bassons, clarinette (en Ut), hautbois et flûtes.

Ensuite, l’écriture « à la française » ne se résume pas à l’utilisation fugace du rythme pointé. Comparons, par exemple, le premier thème de l’introduction lente de l’ouverture de Judas Maccabeus de Hændel, œuvre que l’on souvent rapprochée de cette Consécration de la maison :

à l’introduction de Beethoven (partie de flûte, mesure 4) :

On voit très clairement que, malgré la présence des fameux rythmes doublement pointés, l’allure même du thème et sa construction rythmique sont totalement différentes : la phrase très séquentielle et hachée de Hændel cède ici le pas à une conception plus mélodique et nettement moins répétitive. D’autre part, les jeux d’imitations entre les parties, typiques de l’ouverture hændelienne, sont ici absents.

À y regarder de près, ce premier thème pourrait paraître tout aussi proche d’autres marches présentes dans les ouvertures des Créatures de Prométhée -mêmes rythmes doublement pointés- ou des Ruines d’Athènes -mêmes rythme d’accompagnement- que d’une grande ouverture hændelienne, et l’utilisation de ces rythmes pointés aussi redevable aux marches révolutionnaires qu’à l’influence de l’oratorio baroque. La référence à l’ouverture « à la française » est donc bien plus affaire d’inspiration générale -un cadre propice à la réécriture- qu’imitation conçue comme telle ; d’une certaine façon, tous les premiers mouvements des symphonies classiques sont les héritiers de l’ouverture baroque et Mozart avait précédé Beethoven dans l’hommage au style baroque avec son ouverture de Die Zauberflöte.

De même, Beethoven semble s’être plus intéressé ici à l’énergie perpétuellement renouvelée qu’apportent les entrées insistantes d’un même thème qu’aux possibilités de variations polyphoniques de la fugue en tant que telle. On sait que le compositeur s’est très tôt intéressé à l’écriture contrapunctique, intégrant des passages fugués dans nombre de développements dès la Symphonie N° 3 « Héroïque » ; ses plus grands chefs-d’œuvre dans cette forme datent sans doute de la dernière partie de sa vie : sonates pour piano op. 101, 106 et 110, sonate pour piano et violoncelle op. 102 n°2, Variations sur un thème de Diabelli op. 120, Messe en ré op. 123, Quatuor N° 14 op. 131 et Grande Fugue op. 133. On voit très bien à cette énumération, dans laquelle s’inscrit bien sûr ces ouvertures, qu’il ne s’agit aucunement pour Beethoven d’imiter l’écriture baroque ; cette utilisation de l’« ancien style » est bien plutôt le signe d’une interrogation sur l’histoire de la forme dans la quête d’une écriture entièrement neuve. L’utilisation de la polyphonie se double d’ailleurs d’une dimension psychologique totalement nouvelle : comme l’écrivent Marcel Bitsch et Jean Bonfils, la fugue décrit « la réaction d’un être accablé par la souffrance : la fugue est symbole de vie » .

Car Beethoven s’intéresse avant tout à la dimension expressive qu’il peut insuffler aux formes utilisées, la fugue devient pour lui l’affirmation de « l’explosion d’une force vitale  ».

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