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Kurt Masur « le roc allemand »

Travailler à seize ans sur les chantiers, poser des lignes à haute tension, perdre sa femme dans un accident de voiture ou vivre sous contrôle en Allemagne de l'Est a assurément de quoi forger un caractère ferme et solide … comme le roc.

Si l'on y ajoute une activité débordante, un répertoire symphonique et lyrique de plusieurs centaines d'œuvres, apparaîtra dans cette biographie telle qu'en lui-même, en homme inclassable marqué par la vie et pourtant d'une exceptionnelle propension à l'optimisme.

En réalité, cette biographie est un modèle du genre, complète (à l'inverse de mainte biographie française de Furtwängler généraliste et superficielle), documentée et surtout sans concessions aucune. On y suit pas à pas, presque concert après concert, les tribulations d'un homme dont la volonté semble être le dénominateur commun d'une vie riche en péripéties. Anecdotes, témoignages et fines analyses argumentent un propos résolument optimiste.

La période «rideau de fer» du chef allemand le montre indépendant et néanmoins réaliste, sachant faire les concessions indispensables pour permettre, par exemple, à son Gewandthaus de Leipzig de voyager malgré les pressions politiques. Les historiens suivront avec délectation les différentes époques de la guerre froide où un déploiement de missiles installés en Allemagne ou en Turquie pouvait compromettre une tournée en occident d'un orchestre symphonique. L'implication de Masur dans la vie politique de la RDA au moment de la chute du mur de Berlin témoigne de son sens aigu de la bonne circonstance ou du moment opportun. Il retourne ensuite sagement à son pupitre de chef.

L'auteur du livre estime manifestement (et il n'est pas le seul) que les nominations successives de Masur à New-York et au National de France doivent autant à la politique qu'au talent immense du musicien. On devine entre les lignes que Masur n'a jamais trouvé de véritable terrain d'entente avec les musiciens américains qui souffraient de ne plus pouvoir s'exprimer d'une manière aussi extravertie que sous le règne de Bernstein et de Mehta. En revanche, le robuste silésien semble trouver Paris à son goût. Johannes Forner ne cache pas que la formation française (tenue en très haute estime à l'étranger) vit une période intense de germanisation de son répertoire et reprend ses fondamentaux comme d'autres leurs gammes.

Un immense musicien dont les défauts humains ne sont pas minimisés ici son attitude souvent injuste et «stressante» aux répétitions, mais de toute évidence compensés par une générosité humaniste tout aussi affirmée. En définitive, Masur apparaît d'abord comme un grand solitaire qui soutient la comparaison avec un Beethoven dont il a servi si souvent (et si bien) la musique. On ne saurait trop recommander la lecture attentive de cette «somme».

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