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Hortense Cartier-Bresson avec les couleurs d’Ebène

Blottie dans l'intimité de la rue Cardinet, presque cachée, la salle Cortot est réputée pour son acoustique favorable aux ensembles minimalistes et au récital ; son atmosphère chaleureuse invite et incite à une concentration autre que dans les grandes salles parisiennes, dont la beauté marmoréenne et les proportions imposantes instaurent une distance entre public et interprètes. Aux antipodes des démarches protocolaires des grosses productions, le concert de ce samedi 12 février dernier voyait se réunir une professeure et ses anciens élèves pour un concert un brin symbolique. C'est en effet sous la tutelle d', qui enseigne la musique de chambre au CNR de Boulogne-Billancourt, que le Quatuor Ebène a fait ses débuts en 1999. Les jeunes gens ne tardent pas à prendre leur envol, et après un passage au CNR de Paris et au Conservatoire de Genève, remportent en 2003 le second prix ex aequo du Concours international de Bordeaux (premier prix non attribué), et en 2004 le premier prix de l'ARD, auquel se sont ajoutés les prix du public, des deux meilleures interprétation, et de la fondation Karl Klinger. On imagine alors ce soir-là un auditoire constitué d'anciens camarades de ces quartettistes venus admirer leurs pairs et leur professeure sous un jour plus convivial, indépendant de toute hiérarchie.

Le trop peu joué quintette avec piano n°1 de inaugurait un programme dont l'ampleur aurait effrayé plus d'un ensemble confirmé. Dès les premières mesures, la pianiste a tissé un tapis d'arpèges dont la légèreté et la transparence arachnéenne ont laissé d'emblée deviner une grande subtilité de jeu, et dont l'intelligence du discours s'est vérifiée dans la suite du programme. Se faisant discrète, elle a permis au quatuor de laisser libre cours à sa verve, à son expression instinctive, passionnée et parfois farouche. Se jouant des paradoxes fauréens, conjuguant art de la demi-teinte et expressivité, rondeur chaleureuse et ample du son et clarté de la texture indispensable à l'intelligibilité polyphonique, la formation s'est montrée tout autant convaincante dans l'admirable Quatuor en mi bémol majeur de Schumann. Par son intimisme et sa poésie introvertie, cette œuvre faisait idéalement suite à la précédente. Au sein d'un concert placé sous le joug du tourment, le sublissime chant du violoncelle du mouvement lent venait sous les doigts de inscrire sa pointe d'onirisme au programme. Dans une optique beaucoup plus sombre, le Quintette en fa mineur de Brahms est apparu survolté, incisif, habité par un sens du drame puissant et évocateur, reflet de l'introspection très forte émanant de l'œuvre. Si les jeunes musiciens ont puisé toutes leurs ressources physiques et celles de leur instrument pour traduire une urgence presque angoissée, l'auditeur lui aussi n'a pu sortir serein d'un parcours si riche en contrastes.

Il est des artistes dont la force de conviction dépossède le spectateur de ses a priori, de sa propre connaissance des œuvres et impose avec évidence leur propre interprétation. Ce soir là les jeunes musiciens ont fait montre d'une telle volonté de transmettre leur amour de la musique qu'on ne pouvait qu'accueillir leur prestation avec enthousiasme. Le spectateur sort le sourire aux lèvres, il oublit ses désillusions, ses peines, ses doutes, touché par la révélation d'une jeunesse prometteuse… On ne peux qu'inciter le mélomane à aller écouter le jeune quatuor Ebène, et à nourrir ainsi un public qui par son assiduité saura soutenir une carrière qu'on espère longue.

Crédit photographique : © DR

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