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C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante

Vous souvenez-vous de cette publicité Kenzo qui avait surpris plus d'un parisien lorsqu'un matin, au sortir de chez lui, il s'était retrouvé face à de superbes parterres rouges, telle la place du Panthéon parsemée de grands coquelicots ? 

Il en fut de même ce soir-là au lever de rideau du Chevalier à la rose lorsque est apparue une scène recouverte de photos de roses accrochées à des centaines de tiges bien trop figées. Surprise agréable, clin d'œil publicitaire durant les premiers instants mais, un peu comme le comique de répétition, ce décor de répétition n'a cessé de nous lasser acte après acte. Comment le grand Strauss n'a-t-il pas suscité plus de diversité et plus de réflexion de la part de Johannes Leiacker et de ? Des roses et des roses à n'en plus finir, qui tombent petit à petit sous les pas des chanteurs, entraînant la plupart du temps un risque de chute, principalement pour les malheureuses dames dont les robes ne peuvent que s'accrocher à ces jolies fleurs qui se transforment en réel piège telles des fleurs carnivores! Ainsi, il nous a été donné d'admirer systématiquement en fin d'acte un véritable champ de bataille, loin de toute subtilité viennoise.

Un décor dont nous cherchons encore la soi-disant réflexion, si réflexion il y a eu, permettons-nous d'en douter. Où serait la réflexion si nous envisagions des papillons à nous enivrer pour Madame Butterfly, ou des kilos d'oranges pour L'Amour des trois oranges ? Et s'il n'y avait que cela… mais aucune unité de temps n'a été soulignée et nous préférons oublier le bordel dans lequel les personnages semblaient se plaire à partouzer dans le troisième acte ou, à l'opposé, la mièvrerie des plus ridicules imposées à la pauvre Sophie par un costume des plus niais. Oublions ce malencontreux décor, fermons les yeux, intéressons-nous au pur aspect musical et partons en quête de la rose rendue unique par le petit prince au milieu de toutes les autres. (Si seulement Johannes Leiacker et avaient pu lire Saint-Exupéry…)

Sans aucun doute, cette merveilleuse rose était présente ce soir-là : quelle production !

Redoutable, la partition du Chevalier à la rose n'implique certes pas le choix de la facilité pour les responsables de l'opéra de Nancy et de Lorraine. Accumulant les difficultés techniques dont se joue le virtuose et leur autorisant le déploiement d'une palette sonore inépuisablement riche, ces pages du maître allemand n'en restent pas moins immensément populaires, donc soumises à une attention critique aiguë. À en déjouer les pièges, combien de chanteurs insuffisamment armés et imprudemment programmés par des directeurs artistiques irresponsables ont-ils usé leur énergie ? Ici, ne s'est jamais embarrassé du dilemme opposant l'exercice de la pure virtuosité, vocale et orchestrale, à celui de l'expression, dramatique et artistique : la conquête a été immédiate, évidente dès les premières notes. La quasi-perfection technique de l'orchestre, la pertinence absolue des choix de la palette expressive et l'extraordinaire clarté du discours dramatique dans les passages les plus touffus invitaient le public à la découverte d'un chef-d'œuvre. Sous la baguette du chef nancéien, l'œuvre apparut définitivement idéale et d'un génie si immédiat que l'auditeur ne pouvait qu'aduler le grand Strauss, qui, ce soir, avait autant de disciples que d'auditeurs ! Il est malaisé d'expliquer pourquoi, jusque dans les épisodes les plus périlleux résolus avec la plus déconcertante facilité, cette représentation du Chevalier à la rose resta exempte de tout artifice. L'incomparable fluidité des grands thèmes (particulièrement celui de l'amour) ouvrant l'opéra, la résurrection élégiaque et vigoureuse de l'accompagnement orchestral, l'extraordinaire vérité polyphonique des ensembles, l'aérienne légèreté des airs, autant d'instants qui nous ont totalement fait oublier le visuel au profit d'un sonore des plus délicats.

Qui, mieux que aurait été en mesure de nous proposer une interprétation plus spirituelle et poétique (c'est-à-dire créatrice) de la Maréchale? Tantôt tendre et sensuelle, tantôt jalouse et éclatante, n'a cessé de faire preuve d'une générosité musicale des plus troublantes à laquelle rien ne peut être reproché tant d'un point de vue du timbre, de la diction que du jeu scénique. Une pure merveille ! De même, le coup de foudre du second acte fut tout bonnement magique, interprété avec une sincérité confondante par nos jeunes tourtereaux. Insouciantes et aériennes, –Quinquin- et –Sophie- ont ainsi su rendre la fantaisie et la légèreté du premier amour tel que Strauss l'envisageait ! Quant aux passages purement instrumentaux, la direction de , toute de fascinante clarté dans les rencontres sonores et d'étonnante originalité dans les modes d'attaque, en traduit la plus pure essence, l'expression unitaire des multiples tourments d'une âme sensible.

Une soirée mémorable lorsque nous suivions la philosophie du petit prince en accordant du temps et de l'attention à la seule rose de la soirée, la musique elle-même et la distribution qui la servait et non à toutes celles qu'on nous imposait sur scène …

Crédit photographique : © Opéra de Nancy et de Lorraine

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