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Der Cornet et Mémoires d’une jeune fille triste : créations et recréations helvètes

a toujours établi un lien très étroit entre texte et musique. Avec Der Cornet, le musicien signe un cycle de Lieder pour voix de mezzo-soprano solo qu'il puise du recueil de poèmes de jeunesse de , écrits en 1899 : Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke (La chanson d'amour et de mort du cornette Christoph Rilke).

La force du texte de Rilke réside dans son pouvoir évocateur du quotidien du jeune porte-étendard Christoph Rilke au cours de la guerre qui oppose l'empire austro-hongrois aux Turcs, au XVIIe siècle. Retraçant dans un style ostensiblement elliptique la perdition, la camaraderie du bivouac, le repos, le combat, la lettre à la mère, l'amour dans les bras d'une inconnue, puis la mort du jeune homme, les vingt-trois textes se suivent à la manière d'images fugaces et prégnantes de la vie du cornette. L'ambiance est nocturne, à l'instar de la musique du compositeur, qui mêle habilement au fil des divers lieder des séries dodécaphoniques, un langage tonal et des chromatismes envoûtants. Un souffle constant traverse cette partition superbe. Inexorablement le porte-drapeau perd les repères temporels usuels. Il marche vers un destin que l'on pressent d'emblée implacable, porté en cela par une musique d'une beauté rare.

Mettre en scène une œuvre comme celle-ci présente des risques. Comment, en effet, ne pas apposer des regards redondants empêchant le spectateur de se forger une image en son for intérieur sur la base des suggestions et de la poétique des textes ? Comment relayer par un dispositif scénique ce que la musique dit de manière aussi forte ?  répond adroitement à ces questionnements suscités par l'œuvre elle-même. Le texte est projeté sur des parois dressées sur scène et marque les esprits par sa mise en place et divers effets y afférents. La langue de Rilke, traduite en français, glisse ainsi sur l'espace et le temps comme des formes possédant leur dynamique propre. Les tempi s'adaptent agréablement à l'égrainement des vocables qui entourent les visions souvent fugitives et intérieures de la mise en scène. La déclamation lyrique de s'accompagne de tableaux humains souvent forts et porteurs de sens pour la plupart. Si quelques partis pris demeurent difficiles à saisir (la putzfrau qui ripoline la paroi translucide qui la sépare du devant de la scène où chante, seule, l'alto finlandaise), les évocations de la mère, des armées, de la masculinité des soldats plaisent par leur pertinence et leur à propos. Le ballet des hommes nus pendus par un pied et la tête en bas est un moment fort de cette mise en scène. évoque dans un ordonnancement quasi-chorégraphique l'entrelacs des pensées, souvenirs et rêves confus du cornette. Songes et réalité se mêlent. La vie intérieure, hantée par les cadavres, les tortures pratiquées par l'ennemi, est habitée par l'expérience amoureuse, érotique, que le jeune homme a vécue à la faveur d'un moment de repos, dans la tour, lorsqu'une inconnue l'entreprit. Innocence, mémoire et initiation ne font désormais plus qu'un dans l'esprit du soldat que le devoir et la mort finissent par appeler précipitamment. Tout au long des vingt-trois narrations, excelle par son sens travaillé du texte allemand, sa diction exemplaire et la magnifique texture de sa voix. De ses graves profonds et sans âpreté aux aiguës exigeantes des moments les plus tendus du récit, la mezzo-soprano est en phase complète avec l'œuvre, rendant au texte sa densité et à la musique son extraordinaire ambiance hâlée, colorée, crépusculaire. L'OSR, conduit par , chef dont un des axes de travail prépondérants est le répertoire moderne, fait montre d'une grande circonspection. Il imprime une grande précision à sa lecture de la partition, dont il cultive l'éloquence avec conviction.

En deuxième partie de soirée, l'Opéra de Genève propose l'ouvrage Mémoires d'une jeune fille triste de , compositeur suisse de 33 ans qui a fait ses études auprès d'Eric Gaudibert, et à Paris. Basé sur des textes du XVIe siècle du Portugais Menina e Moça de Bernardim Ribeiro, la pièce de relate diverses histoires d'amours malheureuses. Une soliste, soprano, campée par Joan Rodgers, déclame le livret du compositeur avec des interventions d'un chœur copieux en coulisse et le relais d'un octuor vocal omniprésent sur scène. Des marionnettes grandeur nature et de fort belle facture vivent au cœur d'une bibliothèque aux proportions ahurissantes ce que le livret recèle. Si l'on comprend aux entournures quelques aspects de la pièce, il est fort malaisé de pénétrer pleinement l'ouvrage. Il eût été judicieux d'offrir des surtitres. Ces textes issus de la culture lusitanienne sont peu connus chez nous. Présentés comme étranges et mystérieux, ils ne sont pas parvenus au public malgré le travail louable que la soliste et l'octuor vocal ont mené sur la diction. Inévitablement, une part du texte est couverte par l'orchestre, un toussotement dans le public ou la superposition conséquente de timbres qu'installe la composition de . Difficile de ne pas décrocher dans ces conditions… La musique de Dayer, fort belle au demeurant, possède une trame d'une grande limpidité. Le travail sur le matériau sonore déploie la musique horizontalement avec une richesse de tous les instants, séduisante et envoûtante. Des accords très fournis et très étalés assurent le relief de la partition, ponctuent l'action et varient ainsi les perspectives. Alchimie du son et langage harmonique complexe drapent ensemble la partie orchestrale que la voix entoure souvent de manière plus déclamatoire que directement lyrique.

Crédit photographique : © GTG/Mario del Curto

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