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Festival Lucii & Tintinnii

Arte Musica Vivaldi et l'orgue concertant : ou le maître caché de Bach

Les bonnes salles font les bons concerts et c'est d'autant plus vrai lorsqu'un Vivaldi sur instruments seuls est joué dans un petit théâtre de la même époque. Voilà vraiment un pied de nez pour clôturer une saison qui débuta par un opéra (Gli Amori di Lidia e Clori d'Alessandro Melani par l'Alessandro Stradella Consort) car c'est oser le théâtre sans les acteurs.

Vivaldi fait, ce soir, des merveilles de l'alliance du violon et de l'orgue : l'orgue semble évoquer la couleur des eaux stagnantes de la Lagune, le violon être la parole des amants. Ainsi ces concerti sont-il souvent grossi, l'orgue n'est pas là pour être le premier dominant, il est là pour colorer. Modestement doté par la partition n'est pas ici mis sur le devant de la scène malgré sa magnifique et discrète direction, son phrasé si étudié, délicat et mélodique. D'autant que le son de ce positif fait par le facteur Pinchi, par ailleurs très beau, était faible – mais c'est la loi du genre si l'on veut jouer dans un théâtre et non dans une église. ne cherchait pas, cette soirée, la vedette, il lui suffisait de pétiller d'élégance et de sûreté virtuose en secondant le violon soliste qui ne pouvait s'empêcher de prendre le premier rôle, surtout quand il est joué avec tant de naturel et de jeune arrogance par un prodige, . D'une perfection technique totale, l'orchestre participe à la liesse. Et d'ailleurs, il est frappant d'y trouver un théorbiste qui se plait à échanger alternativement son instrument avec une guitare crépitante, absolument efficace sous les doigts de Giuseppe Pistone : on ne sait en définitive si c'est Vivaldi qui swingue ou les interprètes qui l'entraînent vers l'euphorie…

En commentant ce concert on ne peut s'empêcher de faire des références continuelles à Bach tant l'impression du concert nous affermissait dans la certitude que l'allemand avait étudié scrupuleusement ces œuvres de Vivaldi. Le concerto en ré mineur rappelle dans sa forme celui en do mineur à deux claviers de Bach. Le deuxième concerto en fa majeur sonne rustique avec, çà et là, des inflexions des Quatre Saisons : tout y est allègre, gaillard, humoristique… puis, un instant, une tristesse passe sous la forme d'un mouvement de sonate en trio selon la même écriture que celle de Bach pour ses sonates d'orgue solo, excepté qu'ici le soprano du violon dialogue avec celui de l'orgue. C'est un thème simple presque populaire, finement ouvragé et finissant en les épousailles si sensuelles des voix. On en oublie d'en commenter le final aussi pastoral que le début… A son arrivée pour le troisième concerto de la soirée, le hautboïste fut ovationné : il n'avait pas joué une note, mais le public visiblement était déjà entraîné dans l'enthousiasme. Ce concerto en do majeur est cousu de jeux d'écho où, parfois, des solos s'échappent dans un lyrisme nonchalant. C'est l'occasion pour , ingénument, de se balader sur la scène, profitant d'appoggiatures malicieusement utilisées par Vivaldi. L'orgue cantonné dans son rôle modeste n'était pas de reste à force de mettre en valeur chacun des deux partis! Mais voici le mouvement lent : impossible que Bach n'ait pas entendu et étudié ce concerto tant il est similaire à certaines œuvres du Cantor de Leipzig. D'étonnements en étonnements, on découvre une des autres merveilles de ce concerto dans le mouvement final avec des sauts dans l'aigu ou tous les instruments brodent la matière sonore au dessus du hautbois. Le quatrième concerto en sol majeur (tonalité lumineuse) cette fois-ci voué au violoncelle, est techniquement le plus exigeant. Or notre violoncelliste, Marco Testori, n'a pas peur de faire valoir la rusticité de l'instrument et d'entrer dans le vif : il joue – et la contrebasse de son côté est singulièrement mise en relief se voyant confier en solo le continuo. Le mouvement lent débute par une ritournelle préparant le solo, ritournelle jouée en trio de violons, lente et … quasi «schubertienne» malgré d'évidentes barrières historiques. Une rencontre fortuite à travers le temps. Quant au solo de ce mouvement : c'est l'unique véritable tierce en taille qu'ait produite l'Italie (ici le violoncelle chante en ténor accompagné par les violons). Enfin le final est une authentique bourrasque faite de virtuosités ascendantes. Puisqu'il fallait monter en intérêt, la Sonate en do majeur successive est un chef d'œuvre, le chef d'œuvre du concert. Le début est une tendre élégie qui reprend en majeur le matériel d'un autre concerto en la mineur lui aussi transcrit par Bach (mais pour l'orgue seul), puis c'est une fugue à la Haendel (il fut aussi vénitien pour une saison d'opéra), tel un hommage conscient à l'école allemande. Des clochettes (imitations tant à l'orgue qu'au violon) se font maintenant entendre et, dans ce concert en particulier, évoquent les cristaux du nom du festival «Luci & Tintinni» («lumières et tintements» cf. la présentation du festival), puis la cadence de ce premier mouvement à l'orgue rappelle étonnamment celle du concerto en ré mineur transcrit par Bach pour l'orgue. Mais toutes ces accointances et trouvailles ne sont pas les seuls trésors de cette Sonate en do majeur : le largo est un sommet qui influença certainement Telemann en son temps. Mais on n'a pas le temps de laisser se dissiper le charme que voici l'amorce du nouveau mouvement vif : ce sont des duos de couleurs différentes, et, nouvelle surprise, la cadence de l'orgue est, en octaves brisées, strictement la même qu'une des trois cadences finales du concerto à trois claviers de Bach, justement en do majeur. Le dernier concerto en fa majeur est, en plus grand, le pendant de celui qui ouvrit le concert, c'est comme un concerto pour deux violons dont l'orgue aurait usurpé la parole d'un des deux, c'est que ces œuvres semblent être des réadaptations pour un interprète précis, un hôte, une occasion… le mouvement lent est «alla Corelli» mais avec ces poésies typiques de Vivaldi. Enfin on nous avait réservé la pyrotechnie pour le final avec la cadence sur double corde, horriblement virtuose poussée jusqu'à la force qu'imite aussitôt à l'identique la main de l'organiste et ce n'est pas moins exigeant… Le bis reprend le mouvement allegro d'un précédent concerto, plein de solos baladeurs au violon, au hautbois, à l'orgue, ce mouvement précisément où le violoniste profite des appoggiatures pour gambader sur scène, délaissant un instant le support visuel de la partition.

 

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