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Mystérieuse Paola

VIe édition du Festival « Luci et Tintinnii »

Qui connaît en France le jeu de la claveciniste L'Italie a bien de la chance de l'accueillir au sein du petit Teatro dei Varii, assise, de noir vêtue, les petites mains presque couvertes de dentelle, devant un clavecin court et coloré, déjà nerveux d'apparence, peint de ruines et d'arbres agités par un vent chargé de nuages.

Ainsi ce fut l'apparition subite de la «gravité», pleine d'un noble pathétique, gravité d'une femme, inapte à aborder la vie sans la disséquer par l'âme, en profondeur, une femme du pays des Janas, déesses sardes bienveillantes et inquiétantes. Chaque note de ses mains, sans excès et toujours dans la précision, était faite de la même émotion que chaque note couchée sur le papier par un Monteverdi. Ainsi la claveciniste rendait-elle en ce programme ancien tout l'esprit de ce temps, bien loin des galanteries primesautières des âges à venir mais dont la noblesse avait cette tristesse qui, lorsqu'ils jetaient les yeux en arrière, désespérait les auteurs post-corelliens. Simultanément à cette gravité, la Renaissance, avait la passion des danses et des chansons populaires, celle d'une joie simple et directe. Or voici que touchante, simple et savante, ce n'est rien d'autre que la musique du roi d'Angleterre Henry VIII que s'apprête à jouer dans un programme exquis, à l'association complexe d'auteurs, dont elle explique le contenu dans un intelligent programme traduit à la fin de cet article.

Pour l'heure évoquons la technique, la manière de ponctuer les mouvements de danses avec l'énergie juste, de faire surgir une chorégraphie presque palpable ; évoquons la force, les rythmes, l'impulsion, les célèbres thèmes, parfois altiers comme le Why ask you, la basse du Greensleaves (Las Vascas), parfois espiègles comme la Volta – botticellienne! – la spagnoletta, et tout cela dans une maîtrise de jeu, une concentration sévère qui force à chaque instant le public à entrer dans le monde de l'artiste, un monde qui, déjà débordant de musicalité, ne saurait tolérer un seul accroc. Les deux consorts d'Henry VIII compositeur, dévolus à l'origine aux violes purent se passer de leur sonorité originelle ainsi confiée à une artiste communicative de leur inspiration. Ces œuvres sont peut-être bien plus liées à la douloureuse cruauté du roi et à son appétit d'amour. Le pouvoir n'est pas une aide aux âmes torturées. Le maître de Bull, William Blithemann proposait de par une œuvre sacrée un tout autre monde, plus céleste : un figuralisme trinitaire en triolet avec saut de tierce à la fin du sujet, le résultat est très moderne par la sonorité et la spécialité. Quant à la «profondeur» d'un Cabezón (il n'y a vraiment pas d'autre mot pour qualifier sa musique), elle naît dans l'obscurité des yeux aveugles. Pour qui croirait Sweelinck un auteur froid, qu'il s'intéresse à l'anglaise fortune pétrie par les mains dentelées de et il découvrira assurément la sensibilité du maître hollandais de Scheidemann : la filiation est évidente dans de telles interprétations. Mais dans la lenteur des cantus firmus de l'église, jadis réappropriés au clavecin par la ferveur intime des foyers – aussi intime que ce petit théâtre – ou bien encore dans les langueurs de la Romance II de Palero, le geste de Paola Erdas est d'élection : celui d'un des rares instrumentistes qui savent maintenir l'oreille du public dans ce silence-résonance habitant l'interstice entre la haie de chaque note : c'est au point que l'on oublie que la corde n'est pas frottée et que ce n'est pas une viole qui se fait entendre.

Les deux bis furent d'un autre monde et c'est l'occasion de parler du son de l'instrument lié à la pensée de l'interprète, une copie faite par Augusto Bonza de deux français XVIIIe : l'addition est égale à un italien. Beauté claire et méditerranéenne des aigus mais aussi des somptueuses basses venues de France, sans compter un éclat proche des flamands. Aussi par une brillante chaconne ce n'est pas le sombre Lebègue du disque ( ce qui en faisait la beauté d'ailleurs, lire la chronique du disque) sans que pour autant les suaves basses si typiques de l'écriture française en soient moins servies, tout comme celles, en jeu de luth, du New Ground de Purcell et dont le chant (c'est une transcription de l'auteur d'un solo tiré de l'Ode à Sainte Cécile) était ici vocalisé à fleur de peau – celle des doigts de l'artiste qui salue le théâtre en fin du concert, parterre et loges : chacun était tapi dans le clair obscur qu'elle venait d'installer. Et elle salue, avec modestie, de cette même gravité.

Crédit photographique : © DR

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