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Renée Fleming : Une voix

Comment une fille de Churchville (état de New York) a-t-elle gravi les échelons d'une carrière quasi exemplaire, gagnant après chaque prise de rôles (plutôt choisis deux fois qu'une) le statut que nous lui connaissons aujourd'hui? 

Un statut à part : diva américaine, icône jet set et voix ineffable de lady glamour? La réponse de Renée est simple : «tout le mérite en revient à deux petits morceaux de cartilages logés au fond de ma gorge». Evident et révélateur. Mais pas suffisant. Ce livre confession, moins autobiographique qu'illustratif de certaines périodes de sa vie et de sa carrière, révèle la femme qui regarde la chanteuse. Un être concret qui veut répondre à la question : quel est le secret de ma voix? A défaut d'avoir pu lire elle-même, alors adolescente en quête de perfectionnement vocal, ce livre idéal (donc jamais trouvé) où elle aurait pu collecter quelques conseils judicieux, voici son livre ; le livre témoignage d'une chanteuse qui nous parle technique : «ce à quoi je suis parvenue finalement n'est pas l'histoire de ma vie, mais l'autobiographie de ma voix». Car ici comme ailleurs, pour comme pour les autres étoiles du chant, l'art s'est laissé conquérir à force de travail et de discipline. Ses parents sont professeurs de chant. Renée a donc été élevée dans le chant. Et là encore, la figure de la mère aura été primordiale.

Au fil de la lecture des quelques 356 pages, les inconditionnels verront leur patience gratifiée : la lecture d'»Une voix» est riche en anecdotes souvent savoureuses sur certains aspects des tournées vécues jusqu'au bout du monde par la diva adulée ; les autres, musiciens voire chanteurs ou apprentis-chanteurs pourront reconnaître l'assiduité d'une grande vocaliste, soucieuse de transmettre les étapes qu'elle a traversées, parfois seule, toujours pour l'art vocal.

Evidemment, on y retrouve à l'époque de la formation, cette obsession de «la résonance, de la concentration et du placement de la voix» (dans le masque, précisément). A ce propos, ne manque pas d'humour en comparant sa voix à une tapisserie (lire le chapitre «l'éducation»). Elle développe aussi tout un paragraphe sur les rituels des chanteurs avant d'entrer sur les planches : Pavarotti, Tebaldi et Lily Pons… la question est la même : comment vaincre son anxiété? Ensuite, il y a la relation avec son professeur… Incontrôlable alchimie entre l'élève et le pédagogue capable de révéler à sa protégée tout le potentiel qui ne demande qu'à paraître. A ce titre, on lira avec intérêt la masterclass suivie avec une Schwarzkopf tranchante mais révélatrice de la notion de «couverture» des notes aiguës…(qui devait se révéler si profitable pour l'Hymne à la lune de Russalka)… et puis vint son mentor, professeur pour la vie, l'être musical qui sera un rempart pour la construction de sa voix et de ses choix de répertoire : Beverley Johnson.

Les souffrances de l'artiste (et combien d'angoisses), seule face à ses engagements ; le réconfort que la mère sait trouver auprès de ses deux filles… : épreuves (sa Lucrezia de Donizetti à la Scala), émotions, espoirs déçus, rencontres prometteuses, expérience malheureuse (elle s'est longtemps comparée à l'éternelle perdante des concours) : tout est filtré avec pudeur et toujours avec un amour de la musique indéfectible. Le spectre du métier de chanteur est ici longuement évoqué : les défis, l'image (et là, Renée est indiscutable), les rôles surtout (essentiel pour la longévité de la carrière), même le business et des notions de marketing élémentaires sont traités avec froideur et réalisme. Le livre s'achève dans «les coulisses» : on s'y délecte des relations fraternelles que la chanteuse sait cultiver avec certains de ses partenaires dont le baryton Dmitri Hvorostovsky qui est «à l'opéra ce que Richard Gere est au cinéma»! Tout en ne cachant rien des moments amers, – la critique est facile, l'art est difficile – «Une voix» est en définitive le miroir d'une artiste sincère, chaleureuse, réellement attachante : les pensées véritables d'une femme, d'une artiste et d'une mère (comment ne pas finir schizophrène?) plutôt structurée, dont on aime lire la première phrase de son chapitre ultime coda : «Je ne saurais imaginer de vocation plus satisfaisante que la mienne».

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