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Teseo, un Haendel rare à Postdam

Teseo est le troisième opéra de Haendel composé pour le théâtre londonien de Haymarket. La trame ressemble furieusement au précédent Rinaldo, à base de magicienne cruelle, de rivalité amoureuse et de monstres infernaux.

Sa spécificité vient toutefois du fait que le livret est adapté d'un texte de Philippe Quinault, ce qui lui confère une structure hybride, en cinq actes comme dans la tragédie lyrique, au lieu de trois, comme dans l'opera seria, avec plus de duos qu'à l'ordinaire, dont certains extraordinairement beaux. Les arie sont dans l'ensemble courtes et ne comprennent pas d'aria di sortita, air censé clore une situation et permettant à son interprète de quitter la scène sous un tonnerre d'applaudissements, contexte à la fois plus facile et moins convenu à mettre en scène.

La représentation diffusée par Arthaus Musik est une coproduction du festival Haendel de Halle, Bad Lauchstädt et Hanovre, reprise dans maints autres lieux dont Bury St Edmunds (Voir la chronique de Robert Hugill) et l'adorable petit théâtre de Potsdam où a eu lieu l'enregistrement.

La distribution réunie pour l'occasion n'évoquera pas grand chose à un mélomane vivant de ce coté-ci du Rhin, mis à part , entendu l'an dernier à l'Opéra Garnier en Néron du Couronnement de Poppée, qui déclencha autant l'enthousiasme que les commentaires négatifs. Une voix à déchaîner les passions, assurément. Malgré leur manque de notoriété, les chanteurs retenus forment une troupe d'une belle homogénéité, connaissant tous leur bel canto sur le bout des ongles, et sachant ce qu'interpréter Haendel veut dire. L'intrigue fait la part belle aux femmes, au point qu'on se demande parfois pourquoi l'opéra ne s'est pas intitulé Medea (trop couru?) ou Agilea (pas assez évocateur?). Ce sont en effet les deux rivales, la démoniaque et la pure, qui conduisent l'action, et à qui sont dévolus les plus beaux airs. Ce sont également, dans le présent DVD, les voix les plus excitantes de la distribution. La mezzo-soprano prête sa voix et son tempérament à la magicienne infanticide. Elle a récemment sorti un enregistrement (Voir la chronique de Jacques Schmitt) qui semble confirmer qu'elle se spécialise dans les rôles haendéliens de mezzo non travestis, et Médée lui convient à merveille. Timbre égal sur toute la tessiture, parfaite correction de l'interprétation, il ne lui manque qu'un souffle de démesure, un grain de folie meurtrière, pour entrer dans la cour des grandes. Sharon Rostorf-Zamir interprète sa douce rivale, et nous tenons là la voix la mieux éduquée de la production. Joli timbre, à l'aise aussi bien dans les airs virtuoses que dans les airs élégiaques (son lamento de l'acte IV, accompagné au luth par Wolfgang Katschner, est une merveille), d'un goût sûr dans les ornementations, son Argilea est carrément adorable. Le trio est complété par la charmante Miriam Meyer, dessinant une craquante Clizia. Les choses se gâtent un peu plus du coté masculin, défendu par trois contre-ténors. Certes, tous trois connaissent les règles du beau chant haendélien et possèdent une solide virtuosité. Hélas, aucun d'eux ne possède la séduction d'un Andreas Scholl, la classe d'un David Daniels, le magnétisme d'un Bejun Mehta. Distribution sans star, a t'on écrit plus haut. Distribution masculine sans éclat n'en est pas une conséquence inévitable, serait-on tentée de dire. Ainsi Martin Wölfel est-il un Egeo pas franchement marquant, sans défauts patents, mais sans qualités vocales ou scéniques qui lui permettraient de rendre son personnage mémorable. Thomas Diestler a visiblement soigné ses arie virtuoses au détriment de ses arie languissantes, interprétées d'une façon bien scolaire. Le chanteur a de plus de gros problèmes de justesse, son intonation sur les aigus et les notes tenues étant invariablement trop basse. Reste la nouvelle coqueluche du monde lyrique, . Certes, l'interprétation possède une certaine classe, la vélocité dans les vocalises est au rendez-vous, le timbre est sans problèmes très haut placé, mais tout ceci, probablement électrisant sur scène, est au prix d'un timbre piaillard et franchement désagréable, celui d'une petite fille qui chanterait dans le nez.

L'orchestre Lautten Compagney, dirigé par Wolfgang Katschner, est une formation baroque pure et dure, petit effectif, instruments anciens, avec tous les avantages et les inconvénients qui s'y rattachent : authenticité de l'interprétation, relative aigreur du son.

L'avantage de confier la mise en scène à un chanteur, en l'occurrence le contre-ténor Axel Köhler, est que, connaissant bien les règles du chant, il ne fera rien pour gêner les interprètes, et dans le cas présent, la sublime musique de Haendel peut se déployer tout à son aise. Le metteur en scène a compris qu'il n'est pas besoin d'agitation inutile pour illustrer les affects déployés dans une aria seria, et c'est déjà beaucoup. L'action se déroule dans la pénombre, parois noires, lumières basses, le principal élément de décor étant un lit couvert de poils noirs, aussi disgracieux qu'omniprésent. Les costumes sont assez seyants. La direction d'acteur est plutôt classique, ponctuée de pointes d'ironies plus ou moins bienvenues et dont on aurait fort bien pu se passer, avec des monstres plutôt grotesques, pour autant que l'on puisse en juger, le réalisateur masquant la vision d'ensemble par un abus de gros plans qui ne nous laissent rien ignorer de la dentition de ou du jeu de langue de Sharon Rostorf-Zamir.

Cet enregistrement n'est peut-être pas à marquer d'une pierre blanche, mais il est tout à fait honorable, et a le mérite de proposer un Haendel rare, dont pour l'instant n'existait que le coffret CD d'Erato, dirigé par Marc Minkowski.

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