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Darius Milhaud par lui-même

Avec bonheur et pour le plus grand plaisir des mélomanes, le légendaire label français Charlin revient à la surface en proposant des rééditions toutes récentes de 2005, extrêmement soignées quant à la qualité sonore et à la présentation, de quatre de ses plus précieux enregistrements. Les pochettes brun–or des microsillons originaux ont été respectées et conservées dans les versions CD.

Les quatre premiers CDs sortis en distribution chez Night and Day concernent deux concertos de Vivaldi associés – quelle heureuse idée! – à leur transcription par Bach (SLC 2) ; le Nisi Dominus et le Magnificat RV 611 de Vivaldi (AMS 25, dans une nouvelle digitalisation) ; le Quintette à cordes op. 78 et le Quatuor à cordes op. 8 de Georges Onslow (1784 – 1853), un enregistrement pionnier de ce compositeur encore mal connu (CCV 1002), et enfin dirigeant (SLC 17). Nous nous attarderons sur ce dernier enregistrement qui témoigne particulièrement de la qualité des prises de son d'André Charlin, et d'autant plus remarquable d'ailleurs qu'il est le plus ancien (1956), tout en étant en superbe stéréophonie. La brièveté du programme (32 min) ne doit pas faire reculer le mélomane, l'idée du label Charlin étant de rééditer en CD les enregistrements avec exactement les caractéristiques identiques à celles des microsillons originaux, y compris précisément leurs programmes.

fut sans conteste le compositeur le plus prolixe du fameux Groupe des Six (comprenant également Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre). Son œuvre, par la force des choses, est assez inégale, mais les deux pages que le compositeur a gravées de manière très heureuse sur ce disque (SLC 17) sont très divertissantes et constituent un programme d'excellente facture. Ces partitions montrent à l'évidence l'impact des rythmes du nouveau continent sur la musique du provençal Milhaud : tout sur ce CD est superbement tonique et vivifiant.

Le Bœuf sur le Toit illustre parfaitement l'esthétique du Groupe des Six. Composée en 1919 au retour du Brésil où Milhaud était secrétaire de Paul Claudel alors Ambassadeur de France, cette œuvre, curieux mélange de bouffonnerie et de mélancolie poétique, trouva rapidement un admirateur en la personne de Jean Cocteau, l'arbitre du nouveau groupe et de son esthétique. Initialement prévue comme musique d'un film muet de Charlie Chaplin (d'où le sous-titre de « Cinéma – Symphonie »), elle devint bientôt un ballet créé à la Comédie des Champs-Élysées le 21 février 1920, avec des décors imaginés par Raoul Dufy. La réputation de l'œuvre fut assurée par un scandale typique de cette époque, mais qui peut sembler futile de nos jours. Le Bœuf sur le Toit est une mixture de trois ingrédients essentiels : des airs de music-hall français, des mélodies brésiliennes et une polytonalité qui ne nous choque plus aujourd'hui, alors qu'elle devait être une des causes principales du scandale évoqué plus haut. La forme en est celle du Rondo avec reprises, issue de la tradition française remontant à la musique instrumentale de Couperin et de Rameau.

Milhaud entendit du jazz pour la première fois à Londres en 1920, puis peu après à Harlem, New York. Rentré en France, il ne se lassa pas d'écouter, sur un petit phonographe portable en forme d'appareil photo, les 78 tours « Black Swan » qu'il avait achetés dans une petite boutique de Harlem. Cela le décida à écrire une œuvre de chambre utilisant le jazz, et ainsi naquit donc cette partition pour dix-huit instruments donc un saxophone : La Création du Monde, ballet d'après un scénario de Blaise Cendrars avec décors et costumes de Fernand Léger, datant de 1923 et montrant d'une manière peut-être plus marquée la même combinaison de suprême élégance de l'écriture associée à une simplicité délibérée du contenu musical. Influencée grandement par le jazz de Harlem – et certaines tournures mélodiques rappelant George Gershwin à s'y méprendre – l'œuvre évoque toutefois l'histoire de la Création non pas selon Harlem, mais selon l'Afrique primitive.

De ces deux tableaux, Milhaud qui a toujours été un interprète incomparable de ses propres œuvres, nous lègue des versions d'absolue référence, d'autant plus que ces enregistrements sont réalisés au début de l'âge d'or de la stéréophonie. Cette réédition très soignée est d'une importance capitale pour tout mélomane et pour tout amateur de musique française en particulier. Une réussite exemplaire.

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