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Divorce à la baguette

Robert Spano dirige l'orchestre du Capitole de Toulouse

Robert Spano, directeur musical de l'orchestre d'Atlanta, est surtout connu du mélomane français pour ses enregistrements de musique américaine chez Telarc – le désormais classique Aaron Copland, et des auteurs contemporains comme Jennifer Higdon et Christopher Theofanidis – mais aussi par une lecture fort intéressante de la Sea Symphony de Vaughan Williams. C'était donc avec curiosité que l'on attendait sa prestation dans un répertoire fort différent, mais qui laissait espérer peut-être une approche aussi tonique que celle appréciée en disque.

Surprise, le chef développe au contraire une conception volontiers monumentale et massive des deux œuvres présentées. Ainsi, Une Vie de héros est plus large que cinglante, à rebours des interprétations défendues par les straussiens « historiques », Böhm ou Krauss par exemple. On sent chez Spano la volonté de s'appuyer sur la largeur de la texture orchestrale, plus que sur la différenciation des timbres ou l'animation des rythmes. C'est bien fait dans cette optique, mais il est indéniable que certains passages semblent atteindre une sorte de saturation sonore, comme si l'orchestre, trop longtemps à pleine puissance, n'avait plus de réserve, comme si ces longs à-plats n'allaient nulle part. Cela peut parfois paraître impressionnant, lyrique même, mais la « bataille » est rapidement étouffante par cette tension sonore qui ne se résout jamais, comme si la démonstration ne cherchait qu'elle-même et non une finalité dramatique ou musicale.

Le Concerto de Tchaïkovski va plus loin encore dans cet esprit, qui passe de la démonstration de puissance à l'emphase un peu vulgaire. On est étonné d'abord du manque de tranchant et de netteté des accords introductifs comme de l'épaisseur du premier thème. Mais le pianiste se rebiffe, et le concert vire alors au duel à grand spectacle : c'est Règlement de compte à OK Corral! Spectacle étonnant d'un soliste et d'un chef défendant des conceptions diamétralement opposées d'une même œuvre. Dur combat entre , emporté, virtuose, rythmique, et Robert Spano, alenti et sentimental ; l'un avance droit, l'autre s'étale. Le ton monte et bientôt le piano presse cet orchestre inerte, le jeu se fait plus nerveux, confus même dans des traits rapides presque boulés, les nuances montent et ferraillent parfois, tandis que le chef, impassible, reprend son train sénatorial. L'andante semplice marque un net répit, et l'on retrouve la finesse du toucher de Bronfman. Mais le finale marque l'apothéose de cette dualité, le divorce est prononcé. Tchaïkovski en sort KO, mais il est certain qu'un chef au diapason du soliste aurait livré une interprétation autrement intéressante.

Le trouble persiste, lorsque, à l'irritation manifeste du pianiste, le chef semble lui imposer un bis, l'Etude op. 10 n°12 de Chopin, exécutée sommairement et sans sommation, comme pour se débarrasser d'une corvée pénible. Etrange concert où l'on pouvait ressentir le malaise presque palpable de l'orchestre et du soliste, visiblement peu convaincus par les choix esthétiques de Robert Spano. Dommage pour , qui a dû passer une bien mauvaise soirée…

Crédit photographique : © DR

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