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Une renarde de poésie

Retomber en enfance. Pas dans cette enfance bébête et émerveillée des bambins, mais dans celle dont on se souvient avec son regard d'adulte. L'enfance de fraîcheur, d'insouciance, de naturel. C'est à ce retour nostalgique sur ces époques de nos existences que Daniel Slater nous convie dans ce conte amoureux.

Au-delà de la simple idylle forestière, le metteur en scène anglais pense la sentimentalité humaine opposée à l'amour sauvage des animaux. Avec talent, il montre la passion quasi maladive d'un garde forestier pour une renarde, une passion identique à celle que l'on peut avoir pour un animal de compagnie. Vain transfert sentimental qu'oppose le rituel amoureux des animaux.

Mêlant l'humour au drame, le metteur en scène oscille sans cesse entre poésie et réalité, entre rêve et factuel. Dans un bistrot de campagne, le regard fixe, le garde forestier laisse errer son esprit. Assise à une table voisine, une jeune fille à la chevelure fauve disparaît bientôt quand la scène s'ouvre sur une forêt peuplée d'étranges animaux, corbeau aux ailes de parapluie, mouche ailée d'écumoires. Le rêve vagabond bientôt s'achève. De la jeune fille sur la Renarde que l'homme capture.

Un ingénieux décor (Robert Innes Hopkins) fait de larges panneaux coulissants transforme la scène tantôt en sous-bois, tantôt en terrier jusqu'à une amusante basse-cour de poules en batterie tricotant fébrilement le trousseau de leurs œufs à venir. Dans ces espaces subtils, les protagonistes se meuvent avec aisance et précision. Chacun semble s'amuser intensément dans cette histoire si bien contée.

Dans cette production genevoise, Daniel Slater exerce un remarquable travail de direction d'acteurs. Avec la stature grossière et la voix peu timbrée d' (Le Garde forestier) le metteur en scène brosse un personnage un peu lourdaud en proie au désamour d'une épouse acariâtre (Elizabeth Sikora). De leur côté, Stuart Kale (L'Instituteur) et Bernard Deletré (Le Curé) sont effacés aussi bien vocalement que scéniquement. L'arrivée du baryton-basse (Harasta) va heureusement créer le choc émotionnel de cette soirée. Habité par une voix superbement expressive, il distille un baume vocal unique dans la tiédeur des voix masculines de cette production. On en vient à regretter que son rôle soit aussi limité.

La mezzo Ulrike Helzel est un parfait renard. L'autorité vocale de la chanteuse allemande fait merveille dans ce rôle d'animal séducteur. Si parfois, les aigus sont un peu tendus, ils ne font qu'ajouter à la masculinité nécessaire au personnage. Dans le rôle-titre, la soprano tchèque Martina Jankova offre une belle et rare fraîcheur à un rôle qu'elle investit avec aisance. Dans son interprétation de la partition de Janacek, elle use de son vibrato rapide pour faire ressembler son chant à des plaintes animales plutôt qu'à une véritable prosodie. Excellente comédienne, elle se glisse admirablement dans la « peau » de son personnage. Féline à souhait, cette renarde enchanteresse presque évanescente séduit par son agilité. Sa carrière jusqu'alors confinée dans des rôles relativement secondaires, trouve dans cet opéra l'ouverture qu'elle mérite amplement. Encore un tantinet de travail dans le registre grave, et nous y sommes!

Dans son antépénultième opéra, Janacek n'a épargné aucune difficulté à l'orchestre. Cette partition particulièrement complexe demande une précision instrumentale extrême que ne semble pas avoir totalement maîtrisé l' sous la direction sans grand relief du chef allemand Guido Johannes Rumstadt. Dans le cycle des opéras de Leos Janacek jusqu'ici présenté au Grand-Théâtre de Genève, (Katia Kabanova, De la maison des Morts) la direction d'orchestre avait été tenue avec bonheur et expérience par le chef tchèque Jiri Belohlavec. Cette production de La Petite Renarde Rusée le prévoyait à nouveau. Pourquoi avoir changé une équipe qui gagnait?

Crédit photographique : © GTG Mario del Curto

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