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La version Issay Dobrowen de Boris Godounov superbement restaurée en CD

À peine avions-nous commenté la Shéhérazade d' que nous recevions le Boris Godounov du même chef d'orchestre, et cela dans l'admirable transfert de chez Naxos. Bien sûr l'intérêt de cette production est de nous restituer non seulement le génie du chef d'orchestre russe, mais également celui de la superbe basse bulgare dans le rôle-titre.

(1914-1993) a gravé par deux fois cet opéra magnifique chez « La Voix de son Maître » : sous la direction d' en 1952 et sous celle d'André Cluytens en 1962. Chaque interprétation adopte la seconde version de Rimsky-Korsakov comme en usage à l'époque, et nous n'entrerons pas dans cette polémique : abondance de biens ne nuit pas, et estimons-nous heureux de pouvoir aujourd'hui disposer en disque d'au moins l'une ou l'autre vision de Moussorgsky ou de Rimsky-Korsakov. Considérons qu'il s'agit de deux conceptions – voire deux œuvres – différentes, qui permettent de passionnantes comparaisons, si ce n'est confrontations, et n'oublions jamais que sans Rimsky, l'œuvre géniale de Moussorgsky aurait probablement été perdue…

Au fond, a réalisé ce que , dont il a été un digne successeur, n'a pu accomplir : graver en microsillon un enregistrement « intégral » de Boris Godounov. Chaliapine n'a donc pas enregistré Boris entièrement, mais on peut se procurer un excellent transfert, le plus complet possible, de sa représentation en 1928 au Covent Garden de Londres chez Guild (http : //www. guildmusic. com/histori/moreinfo/gui2206z. htm). Bien sûr, précédant de peu le microsillon, il y eut dans les années ‘40 Mark Reizen (peut-être le plus accompli des Boris et à notre sens le vrai successeur de Chaliapine) et Alexander Pirogov chez Melodia, sous la direction tumultueuse de Nikolaï Golovanov, mais Christoff fut le premier, grâce d'ailleurs aux encouragements d' et à la magie de l'enregistrement magnétique, à chanter les trois rôles de Boris, Pimène et Varlaam (ce qu'on lui a parfois reproché), que ce soit dans sa version 1952 ou 1962. La seule gravure concurrente de Dobrowen dans les années ‘50 est celle de Kreshimir Baranovich (Decca LXT5054-56, en 1954).

On peut valablement hésiter entre les deux versions Christoff, ayant chacune leurs qualités et leurs défauts. Toutes deux omettent la scène de la Cathédrale Saint-Basile qui ouvre le 4ème acte (scène que Karajan, dans la version Ippolitov-Ivanov, réinstaurera), et toutes deux placent la scène de la mort de Boris APRÈS celle de la Forêt de Kromy. Pour le reste, la version Christoff-Cluytens est complète, par contre dans celle de Christoff-Dobrowen, si la scène de la Forêt de Kromy est complète, une partie du monologue de Pimène dans la scène du monastère Tchoudov est omise, tandis que la deuxième partie de l'acte polonais manque également, ce qui est très regrettable, puisque nous privant d'une part importante du rôle de Rangoni superbement chanté ici par un Kim Borg impressionnant. Mais la grande surprise ici est de retrouver un tout jeune Nicolaï Gedda de 27 ans, constamment admirable dans le rôle du faux tsarévitch, Eugenia Zareska en Marina lui donnant superbement la réplique. En fait, tous les rôles sont sans faille (la distribution chez Cluytens est plus contestable). Les Chœurs Russes de Paris sont idiomatiques, bien évidemment, même s'ils n'ont pas tout à fait l'ampleur de ceux de l'Opéra National de Sofia (Cluytens). Enfin la vision d'Issay Dobrowen est l'une des plus convaincantes au disque et l'emporte sur son confrère franco-belge. Rarement un chef aura épousé les plus infimes inflexions des chanteurs (Christoff en tête!) avec autant de perfection ; mais n'oublions pas que Dobrowen a dirigé cette œuvre à maintes reprises : au Bolchoï en 1920 avec , puis peu après en création allemande à Dresde, enfin déjà en 1949 avec Christoff, ce qui permit une connaissance mutuelle approfondie de l'œuvre. Et inutile de dire que l', avec ses vents vibrants et incisifs, tel un orchestre russe, répond idéalement à la direction enthousiaste et flamboyante de Dobrowen.

Pour compléter généreusement le troisième CD, l'ingénieur du son a eu l'excellente idée de transférer quelques gravures de studio (dont trois inédites) de dans le rôle de Boris Godounov : la scène du couronnement du prologue, le monologue et la scène de l'horloge de l'acte 2, les adieux et la mort de Boris de l'acte 4. Cela nous permet de retrouver le chef anglais d'origine belge Eugène Goossens à la direction, et d'avoir ainsi la possibilité passionnante de comparer Boris Christoff à son modèle.

C'est la première fois que nous entendons un report de microsillon en CD réalisé par , plus habitués que nous sommes par ses transferts de 78 tours/min, et ayant toujours admiré son travail de restauration sonore dans ce qu'il a de plus honnête et de plus respectueux vis-à-vis de l'ingénieur du son à l'origine des enregistrements. Ici le résultat est stupéfiant de qualité sonore, probablement meilleur et justifié par rapport à celui réalisé par EMI à partir de la bande magnétique originale possédant tous les défauts de plus de cinquante ans d'âge!… Peu d'ingénieurs du son passionnés par leur travail parviennent à un tel niveau de perfection, et en dire tout le bien possible devient un lieu commun… Chaque fois que vous verrez les noms de Mark Obert-Thorn, Ward Marston ou Seth B. Winner associés à des reports en CD, vous aurez la garantie absolue d'un résultat impeccable tant du point de vue technique que musical.

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