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Verdi ou les Romances exilées

Parmi les vingt-cinq romances composées par , le ténor en a retenu quinze, quatorze plus exactement si on compte pour une, le doublet du Brindisi. Quatre sont tirées du Premier Livre (Sei Romanze) publié en 1838. Ce sont des essais plus ou moins réussis, témoins d'une époque où l'auteur s'adonnait à des marches, à des nocturnes et à d'autres bagatelles plus ou moins lucratives. Elles se confondent avec les années d'apprentissage et à l'élaboration d'ouvrages plus porteurs de promesses. Mais déjà, elles empruntent toutes à la scène. La première, In solitaria stanza (Dans une chambre solitaire) semble l'ébauche d'un air de grand opéra à la Meyerbeer. Les trois autres, Non t'accostare all'urna (N'approche pas l'urne), More, Elisa, Io stanco pœta (Elisa, le poète fatigué meurt) et Nell'orror di notte oscura (Dans l'horreur de la mort obscure) témoignent encore de l'attraction que le théâtre pouvait exercer sur le jeune Verdi. La séduction de certaines pages résulte d'une appétence au bel canto. C'est sans doute, dans cette perspective, à rebours pourrait-on dire, qu'elles prennent leur véritable sens.

Les Trois Pièces Séparées, publiées l'année suivante, donnent déjà la mesure, sinon par la ligne mélodique du moins par leur dramatisme, des plus grands airs de Nabucco jusqu'à la trilogie de la maturité. On sent le chemin parcouru dès La seduzione (La séduction), l'Esule (L'exilé) et plus encore dans Chi i bei di m'adduce ancora (Qui peut me rendre ces beaux jours). Elles mériteraient un accompagnement plus fourni et on comprend que Luciano Berio ait tenté sur huit romances, une version orchestrale pour formation réduite. Telles qu'elles se présentent avec accompagnement au piano, l'auditeur est confronté à une sorte de quadrature du cercle. La mélodie verdienne ne peut prendre son essor sans le contact d'une scène d'opéra, sans le drame sous-jacent dont elle est porteuse, sans la palette orchestrale qui en sculpte le matériau. De plus, la plupart des auteurs des textes sont de simples tâcherons de la rime et n'apportent rien pour affiner son langage.

Le Second Livre de 1845 est inégal. Retenons Spazzacamino (Le Ramoneur) pour ses trilles alla Rossini et les deux Brindisi, le second nettement supérieur à la première mouture autographe. Enfin, Il Tramonto (Le Crépuscule) Il Mistero (Le Mystère) et Ad una stella (À une étoile) restent engoncés dans leur hypocondrie sans trouver de remède. Il Poveretto (Le Malheureux) et Stornello (Ritournelle) demeurent toutes deux des pages agréables, tant par l'ironie piquante de la première, que par l'esprit persifleur de la seconde.

Première pièce entendue sur ce disque, il ne s'agit pourtant pas d'une romance mais d'un Ave Maria, probablement une chute du Requiem, publié en 1880. Le ténor l'interprète avec raffinement voire avec un certain recueillement. Parmi les premières romances, le chanteur nous réserve quelques surprises entre autres, dans le Non t'accostare all'urna aux effets plus dramatiques avec sa voix plus ombrageuse, suivi tout en contraste, du joyeux Stornello. Soulignons le piano toujours présent d'Ingrid Surgenor aux arpèges bien définis qui commente avec efficacité ou agit de façon péremptoire sur tous les numéros du programme. Des trois pièces suivantes, retenons Il Mistero, au pathos quelque peu envahissant et le trivial Spazzacamino, où l'on sent dans certains passages périlleux, les limites vocales du chanteur. Mais c'est l'interminable L'Esule, qui pourrait lui ravir ce titre, car ne faisant pas dans la dentelle, le ténor termine son air par un « coup de gueule vériste » de la plus ignominieuse façon. Enfin, le deuxième Brindisi démontre que le compositeur a affiné son art. Cet enregistrement a été effectué à Londres, en octobre 1997. Ce n'est qu'en 2005 que Naxos a eu l'idée et le courage de le commercialiser.

Comment définir ces romances ? Ce ne sont pas des mélodies, au sens où on comprend ce mot généralement. Ce ne sont pas non plus des airs d'opéras malgré leur ressemblance jusqu'à la caricature. Elles n'ont pas l'élan ni la vigueur des chansons populaires napolitaines, loin de là. Impossible de les définir, elles se sentent un peu perdues, comme L'esule (L'exilé) dans l'immense production opératique du compositeur italien.

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