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Vladimir Fedoseiev : sus aux Tatars !

Un programme russe, qui, une fois n'est pas coutume en 2006, ne propose pas de Chostakovitch. fait partie de cette génération (avec Liadov, Arenski et Taneïev) de compositeurs oubliés, qui ont eu le malheur de vivre après Tchaïkovski et le Groupe des Cinq et avant Prokofiev, Stravinsky et Rachmaninov. A l'instar des compositeurs post-franckistes, ils illustrent le « chaînon manquant » entre le romantisme finissant et le XXe siècle.

Kalinninov, d'une santé fragile, dut multiplier les séjours en Crimée, loin des importants centres musicaux, d'où sa méconnaissance en dehors des frontières de la Russie et de l'Ukraine. Sa Symphonie n°1 ne manque pas d'attrait, malgré un premier mouvement très conventionnel en forme sonate. Les parties médianes sont d'une inventivité toute autre, avec de remarquables effets d'orchestration, sorte de compromis entre le pathos des dernières œuvres de Tchaïkovski et l'exubérance de Rimski-Korsakov. Le Finale, enlevé comme il se doit, reprend dans l'extrême aigu des violons le thème principal du mouvement lent jusqu'à saturation. Une agréable surprise et une heureuse découverte menée de main de maître par Vladimir Fedosseïev, dont la gestique quasiment sculpturale privilégie la beauté sonore parfois au détriment de la mise en place.

Prokofiev n'a pas conçu Ivan le Terrible pour la salle de concert. Musique de film pour une trilogie cinématographique inachevée d'Eisenstein, elle est faite de plusieurs séquences courtes qui ne furent réunies entre elles que dans les années 60. A l'instar de Roméo et Juliette ou Cendrillon, chaque chef d'orchestre puise dans le matériau d'origine (ou dans les travaux de ses prédécesseurs) pour établir sa propre suite symphonique. Vladimir Fedosseïev abandonne la partie d'alto solo et réduit celle de basse a minima pour obtenir une pièce dominée par les interventions du récitant. Partition épique et suggestive, Ivan le Terrible souffre de son morcellement qui l'a relégué dans l'ombre d'Alexandre Nevski, autre musique de film pour Eisenstein devenue cantate.

Drôle d'idée de présenter Alexei Petrenko comme basse, alors que son incursion dans le monde du chant concerne plutôt la musique populaire, et qu'il reste connu surtout en tant qu'acteur. C'est dans cette fonction qu'il officie ce soir, malgré un bref passage chanté (qui relève cependant plus de l'effet et du folklore que du lyrisme). Contrairement à Kurt Masur dans Peer Gynt l'année passée, Vladimir Fedosseïev a choisi de présenter le texte parlé dans sa version originale russe. Si le spectateur perdait quelque peu le sens des paroles dites -à moins d'être nyctalope il est peu aisé de lire le livret fourni avec le programme dans la pénombre du TCE- la musique de Prokofiev, parfois composée avant les prises de vue et sur laquelle Eisenstein s'appuyait pour sa réalisation -cas exceptionnel d'une musique de film pensée et non faite « au kilomètre »- est suffisamment évocatrice et suggestive pour une compréhension suffisante de l'œuvre. La partition alterne vastes pages symphoniques, chœurs, et passages récités parfois en mélodrame. Alexei Petrenko, tout à la fois narrateur, Ivan, Feodor (le boyard devenu tsar après Ivan, celui-là même dont le fils fut probablement tué par Boris Godounov) ou Innocent (une figure récurrente de cette partie de l'histoire de Russie) module son expression vocale de l'hésitant au véhément, du monocorde au chantant. Les chœurs de Radio-France, « coachés » par un des plus grands chefs de chœur russe actuel, , confirment leur excellence. Vladimir Fedosseïev est lui en terrain conquis : sous sa direction l'Orchestre Philharmonique de Radio-France ne défaille pas un instant, et submerge l'auditeur de sonorités dont on ne le pensait pas capable.

Crédit photographique : © DR

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