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Dimitri Mitropoulos, un grand chef d’orchestre à redécouvrir

Il est déplorable que certains « majors » tels que Sony-CBS accordent si peu de considération et de reconnaissance à de tout grands artistes d'un passé relativement proche, qui ont pourtant fait toute leur fierté et leur gloire : après tout, à la tête de l'Orchestre Philharmonique-Symphonique de New York qu'ils ont façonné, et Artur Rodzinski (un autre bien « oublié »…) sont les prédécesseurs directs de Leonard Bernstein à qui ils ont livré une phalange de luxe toute préparée, et qui, lui, bénéficie toujours – et fort heureusement ! – de la disponibilité quasi-totale de l'ensemble de ses enregistrements. De , qu'avons-nous chez Sony ? Quatre CDs difficilement disponibles dans la série « Masterworks Heritage », dont deux en tant qu'accompagnateur de concertos : l'un pour Zino Francescatti (MH2K62339), l'autre pour David Oïstrakh (MHK63327) ; un autre dans le domaine lyrique avec un substantiel Wozzeck « live » (MH2K62759) ; enfin un seul CD Sony (MHK62342) nous révèle Mitropoulos tel qu'en lui-même dans une superbe Île des Morts de Rachmaninov et une incomparable Symphonie « Titan » de Mahler (malheureusement sans les reprises dans les deux premiers mouvements), toutes deux d'ailleurs republiées avec bonheur dans cet album Artone.

Né le 1er mars 1896 près d'Athènes dans une famille orthodoxe très pieuse, , par passion, préfère choisir la carrière musicale plutôt qu'une vocation dans une religion ne permettant pas l'utilisation des instruments de musique. Étudiant, il est en contact avec la culture et des talents belges : élève d'Armand Marsick (harmonie et contrepoint) au Conservatoire d'Athènes, qui l'amène à composer à 23 ans l'opéra Sœur Béatrice d'après un texte de Maeterlinck, œuvre qui impressionne fortement Saint-Saëns ; ensuite élève de Paul Gilson au Conservatoire de Bruxelles de 1920 à 1921. Après des études à Berlin jusqu'en 1924 avec Busoni, Mitropoulos retourne à Athènes où il développe la culture musicale de ses compatriotes par des concerts aux programmes très variés. Sa renommée internationale éclate lorsqu'en février 1930 à Berlin, il remplace Egon Petri au pied levé dans le Concerto pour piano n°3 de Prokofiev, dirigeant l'orchestre depuis le piano. Son succès est tel qu'il réitère cette performance de soliste – chef d'orchestre à Paris, tandis qu'il est par ailleurs sollicité d'abord dans toute l'Europe, puis à Boston sous l'invitation de Serge Koussevitzky. C'est le début de son admirable carrière en Amérique, d'abord à la direction de l'Orchestre Symphonique de Minneapolis (1937-1949) avec lequel il réalise ses premiers enregistrements pour la CBS, puis à la tête de l'Orchestre Philharmonique-Symphonique de New York (1951-1957), conjointement avec celui du Met (1954-1960) qui lui fait découvrir une passion pour l'art lyrique qui ne le quittera plus. Cette passion va le partager entre l'Amérique et l'Europe, et c'est à la Scala de Milan, en pleine gloire, qu'il est terrassé par une crise cardiaque le 2 novembre 1960, lors d'une répétition de la Symphonie n°3 de Gustav Mahler.

Les enregistrements proposés dans ce beau coffret de 4 CDs Artone viennent donc combler une importante lacune en nous offrant une sélection des premières gravures de Mitropoulos, essentiellement des années ‘40 avec l'Orchestre Symphonique de Minneapolis (à la tête duquel succèdera ensuite Antal Doráti). Outre la réédition déjà évoquée de la « Titan » de Mahler et de L'Île des Morts de Rachmaninov, historiques absolument incontournables, on y trouve une orchestration réalisée par le chef de la magnifique Fantaisie et Fugue en sol mineur BWV542 de Bach, superbe arrangement, flamboyant et passionné tel que l'était la personnalité de Mitropoulos : cette pratique initiée par Stokowski et que l'on n'approuverait plus de nos jours, était courante à cette époque où les œuvres pour orgue de Bach étaient rarement exécutées dans leur version originale. Par contre on aurait pu se passer allègrement de ce « tripatouillage » insipide par un illustre inconnu de quelques pages pour piano de Chopin, intitulé fort subtilement Chopiniana… Nous l'aurions plutôt appelé Chopinian-nian !… Les exécutions des Symphonies de Borodine (n°2), Franck et Chausson valent plus par leur côté bouillonnant et paroxyste que par leur aspect méditatif et poétique, mais peut-être cette impression est-elle accentuée par les déficiences d'une prise de son relativement agressive. La suite orchestrale Le Tombeau de Couperin de Ravel souffre également de la rugosité de la prise de son, et paraît parfois précipitée, impression renforcée par l'absence quasi totale des reprises, probablement pour accommoder la durée des faces de 78 tours/min. Il reste deux enregistrements « live » de concertos : d'abord celui où Rubinstein (1952) livre sa vision royale du Concerto pour piano n°2 de Saint-Saëns, si grandiose qu'on lui pardonne les quelques petits « dérapages », tout en regrettant que dans ce transfert, la suppression radicale du bruit de fond dénature quelque peu la sonorité du piano (qui tend à sonner comme « un marimba électronique », selon les propos d'un collègue !…) ; et enfin ce sommet musical extraordinaire qui justifierait à lui seul l'acquisition de cet album : Joseph Szigeti, soliste, et Dimitri Mitropoulos avec le NBC Symphony nous offrent, survoltés, la plus incandescente, la plus déchirante des interprétations du Concerto pour violon « À la Mémoire d'un Ange » d'Alban Berg, et ce qui ne gâte rien, la prise de son (1945) est, en l'occurrence, vraiment remarquable pour l'époque.

Au total, ce coffret de 4 CDs Artone publié par Membran nous propose une belle opportunité de redécouverte et de réappréciation de ce très grand musicien que fut Dimitri Mitropoulos, mais par la même occasion nous fait d'autant plus regretter que le coffret original bien plus complet de 10 CDs consacrés par Membran à ce chef, et dont sont extraits ces 4 CDs Artone, soit très malencontreusement devenu indisponible.

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