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Entremet francorusse pour Raskatov

On oublie que Chostakovitch est plus qu'un immense compositeur, il est aussi une poule aux ailes maternelles, une couveuse de talents à découvrir.

Après le concert « officiel » de son centenaire qui avait mis en avant le splendide Quintette de son ami Weinberg, le Centre tchèque célébrait à son tour l'anniversaire de Chostakovitch… l'occasion surtout de fêter celui d', en sa présence. Rien ne manqua au bonheur du compositeur, ni sa musique interprétée avec ferveur, ni la surprise du gâteau d'anniversaire et les roses rouges par dizaines.

Pour aiguiser les sens, la soirée commença par la projection de larges extraits d'un remarquable documentaire néerlandais consacré au compositeur et à son Concerto pour alto « Put-Chemin-Path-Weg », créé en 2003 par Youri Bashmet et Valery Gergiev. Ce concerto semble, d'après les extraits qui en furent donnés, de même trempe que l'âpre et extraordinaire Concerto pour violon n°2 (1977) d'Allan Pettersson. Tous deux mettent en scène un orchestre rageur fait de sonorités rudes conduisant – dans une lutte angoissante avec le soliste – à une délivrance d'une pureté intense. Alors que chez Pettersson le terme du combat ouvre sur la lumière réconciliatrice d'un chant alla Bach, Raskatov remonte plus loin dans le temps, trouvant sa source fraîche dans les musiques des origines, byzantines voire « caucasiennes » selon Bashmet. C'est extrêmement beau, et sans compromission. Alors, à quand une publication discographique ?

Les Sonnenuntergangslieder ou Chants du soleil couchant, composés en 1995 mais largement esquissés dans la jeunesse du compositeur, constituent pour l' et la soprano une rude entrée en matière. Invité à commenter cette œuvre, explique qu'il s'agit d'une pièce très virtuose dont la composition fut entreprise quand il avait peu d'expérience de la vie. Il paraît non sans malice indiquer un lien de cause à effet entre inexpérience et complexité. Le fait est que les Chants du soleil couchant constituèrent la pièce la plus éprouvante et la plus tendue vocalement du programme. La force et la simplicité d'inspiration montèrent d'un cran avec les Sept romances d'après des poèmes d'Alexander Blok pour soprano, violon, violoncelle et piano composées en 1967 ; puis encore d'un autre cran avec Gebet. Les Sept romances constituent un magnifique résumé des capacités expressives de Chostakovitch dans son registre intimiste, culminant en violence dans la cinquième romance L'orage, tandis que le violon, le violoncelle et le piano ne se retrouvent à jouer ensemble que dans la septième et dernière romance Musique, dans une atmosphère pacifiée.

Dans Gebet, impressionne par son émotion et sa concentration extrêmes, ardemment soutenue par l'. Gebet, ou prière en allemand, a été composée en mémoire du père du compositeur. Le texte est celui de la prière hébraïque du kaddish, qui est la prière juive des morts. Notre collaborateur Didier Velcin confronté à cette musique dans l'interprétation d'Elena Vassilieva et du Quatuor Sine Nomine s'est trouvé bien en peine de classifier cette œuvre profondément inspirée, qui alterne entre forme archaïque immédiatement accessible et accents douloureux d'expression contemporaine. C'est le même trouble – également empreint de fascination – qu'a éprouvé notre chroniqueur Jacques Duffourg rendant compte d'un beau programme consacré à Raskatov par Gidon Kremer à Montpellier. Le chemin de Raskatov n'est pas de fonder un style hérité du passé, mais d'être un homme d'aujourd'hui qui approche un idéal épuré. Cela le prive du bénéfice de tout effet de mode, mais parmi ses admirateurs on compte des stars comme Bashmet, Kremer ou Gergiev, et des amis qui ce soir ont empli la salle Janacek pour lui offrir cet anniversaire qu', étonné et ému, déclara ne jamais oublier.

Crédit photographique : © Alexander Raskatov

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