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Hunyadi Laszlo, chef-d’œuvre méconnu

En ce dimanche des Rameaux et d'élections hongroises, à l'heure de la messe, le public de Budapest remplit le Théâtre Erkel.

Il faut dire que l'opéra hongrois attire les foules dès 11 heures : grands-mères et enfants, familles ou groupes scolaires, le public est moins guindé et moins touristique que celui qui écoutera le même jour à 17 heures Madama Butterfly au « noble » Opéra de l'avenue Andrássy. Le Théâtre Erkel, quoique faisant partie de l'opéra de Budapest, est moins beau, moins cher, mais son public sait se montrer attentif et chaleureux.

Le théâtre Erkel donne justement une œuvre de dont la célébrité ici est immense (il est notamment le compositeur de l'hymne national). Passées les frontières de la Hongrie, son nom est à peine connu et ce, de manière inexplicable. Hunyadi Laszlo est un chef d'œuvre dans son genre, c'est-à-dire la musique lyrique des années 1840. Si les comparaisons n'étaient pas réductrices, on serait tenté d'écrire que cet opéra est du très bon Donizetti (celui de la maturité), du Meyerbeer ou du Verdi de jeunesse.

Il faut dire que le livret est un mélodrame du genre, digne des drames les plus romantiques, fondé sur des faits historiques : en 1456 le roi László V jure de ne pas venger la mort du régent Cilley, mais quelques semaines plus tard il se parjure et fait arrêter László Hunyadi qui sera décapité au château de Buda. Dans l'opéra, l'arrestation a lieu en plein mariage entre László Hunyadi et Maria Gara, et la scène finale est à couper le souffle : par trois fois la hache retombe sans blesser le condamné. En vertu de la coutume médiévale, il devrait être gracié, mais le palatin Gara fait signe au bourreau qui abat la hache une quatrième fois sous les yeux de la mère de László Hunyadi.

Marches, nombreux chœurs, fanfares, mais aussi cavatines avec harpe, duos, trios, cabalettes, ensembles dramatiques, tout y est, à commencer par une ouverture flamboyante. Cette ouverture très développée n'a pas à rougir devant celle de La Juive (la version longue s'entend). Elle est d'ailleurs applaudie en rythme par un public conquis. Autre moment superbe, le début du finale de l'acte III, avec l'orchestre imitant par le chromatisme des cordes l'orage et les éléments déchaînés. Nous jetterons un voile pudique sur les décors de patronage réduits au minimum ; quant à la projection en fond de scène d'une ou deux gravures, elle n'apporte rien.

Les costumes nous transportent au XVe siècle, mais sans éclat. Oublions vite l'aspect visuel. Les chœurs font preuve de vaillance et l'orchestre connaît les ressorts de la partition sur le bout des doigts, sous la direction pleine de fougue de . Pour défendre cet opéra il faut réunir sept solistes aguerris (on comprend que cet opéra lorgne du côté des Huguenots) : deux « méchants » en clé de fa, deux rôles de ténors exigeants (le roi et le rôle-titre), un travesti soprano (le jeune Matyas) et deux sopranos qui rivalisent de difficultés et n'interviennent qu'à partir de l'acte II.

La fiancée du héros, Maria, se voit attribuer une partition incluant aigus, roulades, trilles et un air brillant pour son mariage, tandis que la mère du héros -Erzsébet- est un authentique soprano dramatico d'agilita. L'acte II contient pas moins de deux airs complets avec partie lente et cabalette très virtuose, sollicitant constamment le grave et l'aigu : de quoi laisser la soprano aphone. , parmi d'autres chanteuses hongroises, a enregistré ces airs (cf critique du CD par Catherine Scholler). Un beau rôle de mère pressentant le malheur qui va s'abattre sur son fils et un chant désespéré à donner le frisson… mais un rôle très difficile à distribuer. La troupe de l'opéra national est homogène : aucun élément exceptionnel mais un métier solide et un engagement scénique partagé. Le public saluera chaque air marquant ou baisser de rideau par des rappels enthousiastes.

Budapest sait défendre et entretenir son patrimoine musical mais sait aussi proposer des raretés du répertoire italien, comme nous avons pu le constater le 30 mars dans le cadre du festival de printemps. L'Académie de musique proposait deux Cavaleria rusticana, celle de Mascagni et celle de Monleone. Oserons-nous demander depuis combien de temps l'œuvre maîtresse de Mascagni n'a-t-elle pas été donnée à Paris ? Notons juste que l'orchestre et le chœur des étudiants de l'Académie étaient sur scène. Heureuse initiative qui permet à de futurs professionnels de la musique d'affronter les planches. L'éloge de l'enseignement musical en Hongrie n'est plus à faire. Décidément Budapest est bien attachante…

Crédit photographique : Hunyadi László au tombeau, tableau de Viktor Madarász © Gallerie Nationale de Hongrie, Budapest

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