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La Finta Giardiniera au Grand Théâtre de Reims

Retour au Grand Théâtre de Reims pour entendre la Finta Giardiniera de Mozart, avec un doute, suscité par la brillante représentation la veille de la version d'Anfossi : et si le relatif insuccès de la version Mozart par rapport à celle d'Anfossi avait été mérité ? Le vieux routier au sommet de ses moyens n'a-t-il pas été plus inspiré que son jeune cadet au génie encore un peu maladroit ?

La confrontation des deux partitions en si peu de temps permet de remettre les pendules à l'heure. Le grand succès d'Anfossi à l'époque est compréhensible : sa musique est d'un abord plus facile, plus immédiatement plaisante, moins recherchée, moins virtuose, elle demande moins d'investissement et d'attention de la part de l'auditeur. La musique du jeune Mozart est cependant d'un autre calibre, plus inventive, plus diversifiée, mieux orchestrée, plus mélodieuse, et sa supériorité (quel autre terme utiliser ?) est éclatante. Le dramaturge Mozart est également bien plus intéressant, car il rend les personnages plus humains et leur donne une étoffe que n'ont pas les pantins d'Anfossi. Ainsi, quand le compositeur napolitain écrit en mode mineur, c'est toujours pour parodier les grandes envolées tragiques de l'opera seria, alors que chez Mozart, les passages en mineur illustrent des sentiments et des situations vrais et sincères. Le passage le plus saisissant chez Mozart est le début du deuxième acte, qui voit se succéder deux vrais airs serio, qui sont de grands airs tragiques, sans aucun caractère de pastiche. La partition de Mozart a certes un côté plus disparate, la musique semblant parfois « trop grande » pour un livret faible (une marquise se fait passer pour une jardinière afin de retrouver son fiancé qui l'a frappée et laissée pour morte lors d'une crise de jalousie. Lorsque l'ex-fiancé la reconnaît, celle-ci avoue sa véritable identité puis se rétracte, mais tout se termine évidemment en happy end après quelques péripéties assez convenues) mais la Finta Giardiniera est plus qu'un brouillon pour les grandes œuvres à venir, et elle peut constituer un spectacle tout à fait passionnant. Pour terminer ce comparatif des mérites des deux compositeurs, un argument qui pourra sembler trivial : la version Anfossi est très plaisante, mais le troisième acte semble fort long et on est quand même, malgré tout, un peu soulagé d'en voir la fin, alors qu'avec Mozart, la fin vient trop vite, et on en reprendrait bien pour une heure.

Dans les mêmes décors que la veille, la mise en scène de marque bien le saut qualitatif opéré entre les deux versions. L'action est plus concentrée, plus sérieuse, les possibilités du décor sont moins exploitées (ce n'est plus nécessaire), et il n'y a plus besoin d'introduire un personnage supplémentaire, le pianofortiste, certes très drôle et dont l'utilisation était une excellente idée, mais qui était somme toute un parasite, un greffon sur le déroulement de l'action. Finalement, si la mise en scène de la version Mozart est moins inventive et marquera certainement moins les mémoires, elle est nettement mieux adaptée à la nature de l'œuvre.

Pour servir cette Finta Giardiniera, comme la veille, une distribution de jeunes chanteurs de tout premier plan. Il y a d'abord quatre excellentes soprano au voix bien différenciées : Chantal Santon est une Sandrina au format vocal très large, au timbre laiteux et sombre assez somptueux, qui doit encore apprendre à maîtriser sa respiration et à soigner son intonation, mais qui produit déjà des aigus excellemment contrôlés et quelques pianissimi superbes. Une belle révélation, et peut-être l'étoffe d'une grande Susanna. Sa rivale Arminda est chantée par Sarah Hershkowitz, voix piquante, aux aigus brillants et excitants, et réussissant de très belles ornementations. Aurélie Loilier (Serpetta), est annoncée souffrante, ce qui, à part un léger manque de puissance ne se remarque pas du tout. Le timbre est corsé, le medium riche, le chant stylé et très agréable. Enfin, fait forte impression en Ramiro, avec sa voix puissante et veloutée et son timbre aux couleurs éclatantes. Elle bouscule un peu la ligne vocale, mais c'est une chanteuse passionnante, qui rayonne sur scène, et qui caractérise très bien les personnages qu'elle interprète. José Canalès (Podestat) est un bon comédien, mais un chanteur au timbre assez ingrat, et très prudent, il a tendance à escamoter ses aigus. On le sent dans ses quelques airs toujours à la limite de ses moyens. Pour l'autre ténor, (Belfiore), le problème est inverse : il a des moyens, mais ne les contrôle pas encore très bien. Le timbre est très beau, assez sombre et très viril, mais le style est fruste, les aigus sont peu assurés et la ligne vocale très hachée. Cependant, il chante avec beaucoup de cœur, a de la prestance, et son potentiel est indéniable.

Le meilleur homme est pour la fin, Ernesto Tres Palacios est un Nardo au format vocal très impressionnant, aux graves somptueux, et au médium souple, mais à l'émission un peu brutale.

dirige son ensemble avec énergie et fermeté, et se montre très attentif aux chanteurs. Les sonorités de l'orchestre sont un peu sèches, mais nettement moins que celle de la Capella de'Turchini de la veille. Le sens de la continuité manque à cette direction ardente et juvénile, ce qui se traduit par l'impression d'entendre une suite de numéros sans trop de rapports entre eux.

L'impression est donc globalement très positive, pour les deux spectacles en eux-mêmes, ils pourraient presque être montés séparément, mais surtout pour leur confrontation, qui permet de mesurer à quel point Mozart, tout en n'étant pas seul au monde et en ayant un style très proche, était quand même nettement plus intéressant que ses concurrents. Une belle manière de toucher du doigt la différence entre le talent et le génie. Grâce en soit rendue à la Fondation Royaumont, initiatrice de cette double production, et au Grand Théâtre de Reims, qui choisit bien les spectacles qu'il invite et qui présente des saisons variées et intéressantes.

Crédit photographique : © Michel Chassat

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