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Nos larmes pour Kertész

avait en projet l'enregistrement pour Decca des grands opéras de Mozart. Sa mort accidentelle par noyade nous a privé d'un grand chef déjà au sommet et dont le jeune âge promettait une carrière éblouissante.

De son projet Mozart, reste une Clemenza di Tito qui fut le premier enregistrement studio de cette œuvre dont la valeur était mise en doute à l'époque, et qui est encore 35 ans après une des plus belles versions, défendue par une direction très classique et en même temps brûlante et exaltée, et par un casting vocal de rêve.

On retrouve une partie de la distribution (Popp, Fassbaender et Krenn) de cette intégrale dans cet album comprenant des airs et des ensembles mozartiens, qui sonne rétrospectivement comme le galop d'essai d'une course que Kertész ne disputera jamais. Dans ce disque, on chérira d'abord les ensembles, il est rare d'en entendre enregistrés hors intégrales, qui montrent à l'œuvre une vraie équipe et un chef soucieux de sa cohésion. Les caresses vocales de répondent idéalement à l'autorité rogue de dans les duos Susanna-Comte et Zerlina-Don Giovanni, le trio « Soave sia il vento » a la légèreté d'une plume et la tendresse d'un baiser, le Vivat Bacchus est un moment d'anthologie comique, et le trio « Cosa sento » des Noces est d'une vérité théâtrale criante.

Individuellement, les prestations sont très bonnes : est la lumière, la bonté et la douceur. Elle rayonne en Pamina, phrase « L'amero, saro costante » avec une simplicité angélique, et est la plus attachante des Susanna. est merveilleusement bien chantant. La voix manque un peu d'harmoniques et il n'a pas la rondeur et l'italianita d'un Figaro ni la naïveté d'un Papageno, mais dans les rôles de séducteurs autoritaires, Don Giovanni, Le Comte, voire Guglielmo, il est parfait.

Avec sa voix avare en couleurs et aux aigus serrés, son émission nasale et plaintive, Werner Krenn n'est pas le ténor mozartien idéal, et en Belmonte comme en Tamino ou en Ferrando, il expose ses limites. Il faut cependant lui reconnaître un très beau médium et une ligne de chant élégante et stylée, et il fait d'excellents Pedrillo et Basilio. Manfred Jungwirth est également un peu surexposé en Osmin, dans lequel il n'est pas à la hauteur des grands titulaires du rôle : Frick, Salminen, Moll ou Talvela. Sa prestation est très correcte, sans défaut rédhibitoire, mais le grave sonne assez creux, et il beugle « O wie will ich triumphieren » pour masquer ses difficultés à vocaliser. Enfin, a peu d'occasions de s'illustrer, mais son « Voi che sapete » est d'une ardeur juvénile qui compense des phrasés un peu abrupts, et elle est une Dorabella troublante et haletante dans le duo « Il cor vi dono ».

La direction de Kertész, d'une tendresse et d'une virtuosité folles, transformant de nombreux passages en concerto pour vents et voix, est formidable d'inventivité et de poésie, et arrive à créer un climat théâtral juste et vrai en quelques mesures.

Dans la discographie mozartienne, on retrouvera Popp, Fassbaender et Krause en maints endroits, et toujours avec bonheur. Néanmoins, entendant ce qu'ils pouvaient faire, ensemble, sous la houlette d'un maître d'œuvre comme , on ressent encore un peu plus la mort bien trop précoce du chef hongrois comme une perte irréparable.

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