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Haydn et Mozart : authentiques destins croisés

« Destins croisés » quasi emblématiques de l'histoire de la musique : ceux de Haydn et de Mozart. Et pour nous en parler, une personnalité autorisée et tout indiquée, tant ses ouvrages* consacrés à ces deux musiciens font autorité : le musicologue Marc Vignal. En avant-concert, celui-ci explique donc au public, et en termes « basiques » ce qui fait la particularité du quatuor à cordes : historique et évolution, à travers les contributions, dans ce domaine, des compositeurs à l'honneur ce soir. Il insiste tout particulièrement (extraits sonores à l'appui) sur les caractéristiques comparées des œuvres au programme de la soirée. Après quoi, convivialité oblige, le staff des Manfred, toujours agréablement accueillant, convie l'auditoire à une sympathique collation.

Plutôt que d'opter pour la stricte chronologie (ce qui aurait conduit à réserver pour la seconde partie les deux pièces les plus « conséquentes »), ce programme choisit une alternance réalisant un meilleur équilibre. La première partie nous donne ainsi à entendre tout d'abord le Quatuor en fa mineur n° 5 de l'op. 20 de Haydn, aux accents inhabituellement tragiques chez le compositeur, et qui compte à juste titre parmi les plus importants du corpus. Si Marc Vignal a fort opportunément rappelé le mot fameux de Gœthe à propos du quatuor à cordes, dans lequel, dit l'illustre poète, « on croit entendre discuter entre elles avec intelligence quatre personnes sages et sensées », les Manfred en font ici l'éclatante démonstration, ajoutant à l'intelligence une sensibilité à fleur d'archet et une élégance de jeu de tous les instants. Leur lecture de l'Adagio emprunte un lyrisme et une intensité d'une profonde expressivité et le Finale, en fugue a due soggetti, qui donne l'occasion à chaque instrument de faire entendre clairement sa voix, met en évidence (pour qui en douterait encore) la haute qualité des interprètes. On aura noté, au passage, que le sujet principal de cette fugue n'est pas, chez Mozart, tombé comme on dit « dans l'oreille d'un sourd », puisque celui-ci saura s'en souvenir, en exploitation canonique (et en sourdine, comme un clin d'œil) dans l'Andante de son quatuor KV 168, joué en ouverture de seconde partie de programme (et plus manifestement encore utilisera-t-il ce thème dans le Kyrie de son Requiem).

De Mozart, c'est maintenant le très beau KV 499, dit « Hoffmeister », que nous écoutons. Composé à l'époque des quintettes, ce quatuor isolé (entre les six quatuors dédiés à Haydn et les trois quatuors prussiens, les derniers de Mozart), ce quatuor-là séduit dès l'Allegro initial, merveilleusement mélodique, et dont les interprètes accentuent encore la séduction par des sonorités d'une grande pureté. Mais c'est dans le foisonnant Allegro final que la maîtrise des Manfred s'affirme avec le plus d'acuité, quand aux aériennes envolées des violons répond, fulgurant, le violoncelle et que l'alto, superbe de timbre, s'insinue en contre-chant.

Haydn ayant ouvert le programme, c'est encore au maître (« le seul qui m'ait appris à composer un quatuor », estimait Mozart) qu'il reviendra de clôturer le concert ; et par l'un de ses quatuors les plus prisés : le sol majeur n° 1 de l'op. 77. Après ses séjours londoniens, Haydn compose les six pièces de l'op. 76, justement célèbres (1797), puis les deux de l'op. 77 (1799), laissant inachevé l'op. 103 de 1803. On retrouve ici (comme dans le KV 168 de Mozart) la structure habituelle des quatre mouvements avec le menuet en troisième position (alors que les deux quatuors joués en première partie offraient cette particularité du menuet précédant le mouvement lent). Sans rejoindre le caractère « tragique » qui baigne le n° 5 de l'op. 20, l'Adagio s'apparente à une méditation empreinte d'une certaine gravité que les Manfred s'emploient à dégager, avant de faire éclater, dans l'étourdissant Menuetto joué presto, le même éblouissant brio qu'ils ont montré dans l'Allegro final du KV 499 ; brio enrichi de cette constante expressivité qui caractérise leur jeu, et confirmé dans le presto final. Une exécution qui enchante naturellement l'auditoire….

De cette « confrontation » Haydn-Mozart, le second violon nous demande avec humour « qui sortira vainqueur ? » et de répondre lui-même par une malicieuse pirouette : « Eh bien…c'est Schubert ! » Et les Manfred de nous donner généreusement, en bis, l'allègre et joyeux Allegro final du Quatuor n° 10 en mi bémol majeur du compositeur de la Truite, véritable cerise sur le gâteau d'une délicieuse soirée viennoise.

Le prochain concert du  : en ce même lieu, le jeudi 18 mai, avec au programme : l'Art de la Fugue (J. S. Bach) et le quatuor n° 15 op. 144 de Chostakovitch.

* Marc Vignal :

1989 : Haydn, chez Fayard ; 2001 : Haydn et Mozart, chez Fayard / Mirare

2004 : Beethoven et Vienne, chez Fayard / Mirare ; 2005 : Sibelius, même éditeur.

Crédit photographique : © Jacques Blanchard

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