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Les variations Goldberg par Zhu Xiao-Mei

Il arrive parfois que les ex-enfants prodiges d'un instrument deviennent de piètres interprètes, grisés par la gloire précoce dont ils ont bénéficié. Ce n'est heureusement pas le cas de tous, et certainement pas celui de . Quel est alors l'intérêt, me direz-vous, de faire allusion à son enfance puisque son présent est assez convaincant pour se suffire à lui-même ? Parce que dans son cas, son enfance a eu une influence primordiale sur ses relations avec les Variations Goldberg. Ses brillantes études à l'Ecole nationale de musique pour enfants surdoués en Chine sont interrompues par la Révolution culturelle. Elle passe cinq années près de la Mongolie intérieure, dans un camp de travail où, grâce à des complicités, elle réussit à travailler le piano en cachette.

Et que joue-t-elle ? Les Variations Goldberg, de mémoire. Ce monument de la musique pour clavier fait totalement partie de son histoire, de son évolution, de sa musique. Peut-être est-ce pour cela que la version qu'elle en donne est si aboutie, si pure, si claire.

a composé les variations Goldberg à la fin de sa vie. Au-delà des légendes qui courent à son sujet, il est intéressant de souligner qu'elles furent explicitement écrites pour le clavecin à deux claviers. Bien sûr, depuis Glenn Gould, les enregistrements et concerts au piano ne sont pas rares, mais n'oublions pas que – contrairement à d'autres œuvres du même compositeur – ici, le timbre est spécifié et ne permet aucun débat sémantique. Est-ce pour cela qu'il faut proscrire les interprétations au piano ? Certes, non, mais il n'est pas anodin de préciser qu'il s'agit alors d'un choix d'interprétation.

Une Aria, 30 variations. Voici une œuvre extrêmement longue, qu'il n'est plus nécessaire de présenter. Les Variations Goldberg font partie du grand répertoire, et le public grenoblois était d'ailleurs très nombreux pour l'apprécier ce jeudi à 19h30. D'autant plus par cette interprète reconnue de l'œuvre, qui l'a porté au disque avec succès (chez Mandala).

L'événement est à la hauteur de ce qu'on espérait. Chaque variation est une leçon de composition et de contrepoint, comme toujours chez Bach. Dès le début, l'Aria vous saisit, vous coupe le souffle par sa délicatesse. Sous les doigts de , tout est découpé, ciselé avec une extrême finesse. Cachée derrière ses cheveux, la pianiste nous convie à sa communion intérieure avec l'œuvre. Et la salle comble semble disparaître devant l'orfèvre au travail. Car il s'agit réellement d'un travail d'orfèvre. Au son cristallin de la main droite répond chaque ligne mélodique, délicatement et sereinement mise en valeur. Calme, finesse, sérénité, délicatesse, précision, mais également force et contrastes, énergie et vitalité dès que la musique le justifie.

Des variations qui forcent l'admiration, une interprétation irréprochable, qui cueille chaque sonorité au creux du silence … d'où vient alors que notre attention s'échappe régulièrement, que nous ne sommes pas totalement happés comme nous devrions l'être ? De l'œuvre, tout simplement. 30 variations !! Tout le monde les connaît, tout le monde les a entendues au moins une fois et reconnaît leur valeur, mais qui les a réellement écoutées d'un bout à l'autre avec une attention toujours renouvelée ? Qui plus est, au piano ? N'en déplaise aux pianistes et amoureux de cet instrument, le clavecin, par la variété des jeux qu'il offre, dispose d'une palette de timbres bien plus grande, qui permet maintenir sans cesse l'oreille aux aguets. Au piano, ce monument devient peu à peu un flot continu de sonorités parfaitement écrites, mais sans réelle accroche pour maintenir l'attention, qui, inexorablement, s'échappe peu à peu …

Mais chaque retour à la réalité est source d'émerveillement face à ce joyau qui nous est offert. Saluée par un tonnerre d'applaudissements, nous offre en bis une transcription d'un choral de Bach pour orgue.

Crédits photographiques : © DR

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