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Jane Eaglen, l’abîme des profondeurs

Il arrive parfois que les rééditions nous offrent un nouveau regard sur des interprétations décriées. Le commentateur doit dans certains cas admettre que des disques sévèrement épinglés à leur sortie se révèlent des interprétations pertinentes. Malheureusement, l'oreille restera dans le cas présent fidèle à ses premières impressions.

Dans les années 1990, à la tête de sa formation des se voulait d'une rigueur philologique extrême. Il accumulait les enregistrements du répertoire classique, et auréolé de beaux succès (Mozart et Beethoven), il se lança dans l'exploration des symphonies et pièces de l'époque romantique. On vit ainsi passer des symphonies de Mendelssohn et de Schubert dans lesquelles l'aridité des attaques et le refus de tout cantabile semblaient être les seules lignes directrices. Le chef continua pourtant ses pérégrinations avec des enregistrements de Bruckner et de Wagner qui se firent littéralement incendier par la critique alors que les admirateurs de ces compositeurs criaient au scandale et à la trahison. En effet, si une approche fidèle au texte et en rupture avec une tradition « romantique » se justifiait dans le répertoire baroque et dans une moindre mesure dans les œuvres classiques, les symphonies et œuvres du XIXe siècle n'ont pas spécifiquement besoin d'un ravalement de façade.

La symphonie n°3 de Bruckner, jouée dans la version de 1873, est particulièrement navrante. Norrington semble dominé par la partition et l'interprétation part dans tout les sens. Si les tempi, suffisamment rapides, sont assez bien choisis, le chef ne maîtrise ni la progression, ni la gestion de la verticalité harmonique si importante chez le maître de Saint Florian. Le premier mouvement, heurté et haché, est hors de propos, le deuxième est présentable mais minaudant tandis que les deux derniers sont carrément plombées à coups de plâtrées de cuivres et d'effets pseudo dansants. Le collectionneur restera donc fidèle à ses références traditionnelles (Sanderling, Böhm, Jochum, Nagano) alors qu'il se tournera vers le live incandescent de Klaus Tennstedt (lire ici la chronique) pour entendre un Bruckner inattendu, incisif et hargneux.

Le disque Wagner est un peu mieux en dépit de quelques gros ratages comme une ouverture de Rienzi d'une lourdeur pachydermique et un prélude des Maîtres chanteurs de Nuremberg à l'inverse allégé mais tout aussi hors de propos. Prélude et Mort d'Isolde sont trop rapides, ce qui enlève la magie intrinsèque à ces fabuleuses pages. La prestation de la soprano est bien curieuse, le timbre et la musicalité sont plutôt bons, mais ce gros format vocal apparaît surdimensionné et en total contraste avec la « légèreté » de l'accompagnement orchestral. Siegfried Idyll, le prélude de Parsifal et le Prélude de l'acte III de Lohengrin sont assez bien rendus avec des climats justes même s'il y a plus profond ailleurs.

En conclusion, ces disques nous montrent qu'il ne suffit pas d'avoir quelques idées pour changer la donne discographique. Si certains partis pris pouvaient se révéler intéressant, il aurait fallu à un tout autre bras pour les imposer.

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