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Mozart à Versailles

Cette nouvelle année Mozart nous vaut la réédition de ce disque, enregistré pour la précédente commémoration et passé un peu inaperçu au milieu de la débauche commerciale d’alors, seulement dépassée par la débauche commerciale actuelle. À quand l’anniversaire de la première dent de lait de Mozart ? Ou l’anniversaire de Nannerl, féminisme oblige (son père dit d’ailleurs dans une de ses lettres à Wolfgang qu’elle aurait sans doute pu être un bon compositeur) ? Ou même, pour surfer sur deux vagues commerciales à la fois : Mozart et Marie-Antoinette, sortie du film de Sofia Coppola oblige ? Ce disque, sous-titré « Mozart à Versailles » serait alors parfait.

Toute ironie à part, on constate que cet enregistrement déjà vieux de vingt ans, par la rareté et la cohérence de son programme comme par la qualité de l’interprétation, se dégage nettement de la récente fournée consacrée à notre ami Wolfie.

Mozart n’a en fait composé que deux œuvres pour deux pianos : la Sonate K. 448 et la Fugue K. 426, qu’il a ensuite arrangées pour cordes en la faisant précéder d’un prélude, ici transcrit par Joël Rigal ; il faudrait ajouter à cette liste le Concerto à deux pianos N° 10 K. 365, qui nécessite bien sûr un orchestre. Les interprètes ont complété le programme avec une œuvre pour piano à quatre mains, la Sonate K 19d, œuvre d’un gamin de neuf ans qui imite avec aplomb son maître, Johann Christian Bach. Le choix n’est pas innocent, car ces deux sonates partagent l’influence du maître : le premier thème de la sonate K. 448 provient du Concerto op. 13 N° 2 de Johann Christian. Elles ont également en commun un même caractère démonstratif, une écriture nettement concertante, plus brillante qu’expressive. La formule à deux pianos dut plaire à Mozart, qui entama aussitôt la composition de deux autres sonates, K. Anh 42 (375 b) et K. Anh. 43 (375c), qu’il laissa inachevées, ainsi que d’autres esquisses que l’on trouve en complément de programme, fragments de quelques mesures, seulement riches de promesses à peine entrevues, mis à part un Larghetto et Allegro (sans numéro au catalogue Köchel) complété par Paul Badura-Skoda et qui dure plus de huit minutes.

L’idée est excellente d’avoir choisi pour interpréter ces œuvres deux pianofortes contemporains du facteur Taskin, plus connu pour ses clavecins, conservés au Château de Versailles et au musée du CNSM de Paris. Agréable surprise que ces instruments très différents des pianofortes viennois, à la sonorité un peu étrange, légèrement tintinnabulante et luthée, l’un plus acidulé, l’autre légèrement voilé, tous deux très raffinés. Une vraie sonorité de bonbonnière musicale ; le disque a d’ailleurs été enregistré au Petit Trianon – d’où le titre. Et quoique d’époque, parfaitement restaurés et réglés, ils sonnent avec plus de netteté et d’agrément que bien des reproductions modernes ! Seule la Fugue K. 426 pâtit des disparités de registres et du manque de puissance. Surtout, on apprécie un jeu d’une belle rigueur et d’une grande simplicité, qui ne force jamais la nature des instruments et gomme l’aspect un peu démonstratif des œuvres pour en donner une vision d’une grande poésie. Rien n’est appuyé, ou heurté, partout règne une fluidité lyrique et tendre qui prend le temps de laisser respirer chaque phrase. Un très beau disque, sans doute un peu à part dans la discographie mozartienne, mais de rares minutes d’un tendre abandon, pour parler « petit Trianon ». Il ne manque plus que quelque bergère de pastorale avec sa houlette, ses petits agneaux enrubannés de rose, un buisson complice et un Sylvandre de passage…

On signalera par ces mêmes interprètes une intégrale des œuvres pour piano à quatre mains chez Frémeaux & Associés.

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