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Technique et talents au service de Saint-Saëns

En écoutant l'enregistrement de et Philippe Bélanger, sur l'Orgue de l'Oratoire Saint-Joseph de Montréal, on se dit d'emblée : Il y a quelque chose ! Mais quoi ? Quelque chose d'inhabituel, mais pourtant de très agréable. Mais quoi ? Car si l'ensemble est relativement bon, tout n'est pas parfait et de nombreuses imperfections demeurent. Mais qu'est-ce donc ? L'organiste peut-être ? Philippe Bélanger mérite, il est vrai, plus de notoriété qu'il n'en a encore en Europe. Jeune prodige ? On ne sait pas. A neuf ans, il est déjà organiste titulaire de l'église Saint Paul de Aylmer (Québec, Canada) et en novembre 2002, à 27 ans, il est nommé, sur concours, titulaire des grandes orgues de l'Oratoire Saint Joseph de Montréal. Enregistrer sur l'orgue dont on est titulaire est assurément un atout dans l'exécution. Philippe Bélanger sait ce qu'il peut demander à son instrument et il le prouve admirablement dans les trois œuvres qui complètent l'enregistrement. Il sait donner toute la puissance de son Beckerath, le faire glisser dans une chaude intimité vers les douceurs paisibles qui lui permettent de donner un nouveau visage au Carillon de Westminster de . Avec , il parvient à rendre l'orgue présent et majestueux sans dominer ni couvrir l'orchestre. Ce jeune chef canadien prend peu à peu sa place parmi la nouvelle génération des Daniel Harding, Yair Samet ou encore Philippe Jordan, pour ne citer que quelques noms des «baby conductors». Fougueux, mais reconnu pour sa musicalité et sa maturité, il tire vers les sommets son du Grand Montréal qu'il dirige depuis mars 2000. Ses qualités personnelles, unanimement reconnues, son charisme propre, transparaissent dans l'interprétation de cette Symphonie n°3 de Saint-Saëns. Il connaît ses musiciens et ses musiciens le connaissent. La force de l'interprétation le montre. Ils le suivent jusque dans ses excès. Sa fougue se perçoit particulièrement dans le troisième mouvement qui tend largement vers le Presto, oubliant quelque peu l'Allegro moderato, ou encore dans le final très enlevé amené par un quatrième mouvement, peut être un peu trop rapide et de ce fait un plus décousu que le reste de l'interprétation. Le jeu parfois trop sec des cordes et des vents n'en ressort que plus désagréablement, dans un Maestoso qui pourrait s'apparenter à un Wagner de la Walkyrie. Mais les trompettes ont su nous entraîner dans leur fougue jusqu'à l'accord final, laissant à l'orgue le soin de conclure et de porter seul l'écho mourrant dans cette immense basilique.

Si l'interprétation excelle dans les tutti et les mouvements enlevés, elle pêche en revanche dans les adagios et les parties moins fournies. , a su, en effet, obtenir de ses cuivres puissance et chaleur. Leur timbre sonore n'est jamais cuivré. Tous les doubles forte sont correctement amenés sans écraser la partition. Dans le premier mouvement surtout, on ressent l'équilibre relativement fin entre des pupitres qui s'épousent à merveille. Sur la fin de ce mouvement, le trombone renforce admirablement le do mineur qui est effectivement interprété comme un vrai do mineur.

Comme Saint-Saëns l'avait souhaité, cette symphonie d'un nouveau genre composée de quatre parties est effectivement interprétée comme s'il n'y en avait que deux. Ce qui finalement renforce le contraste entre la qualité dont l'orchestre est capable dans les tutti et la faiblesse des autres passages. Ainsi, le second mouvement est poussif voir larmoyant, ce qui, à mon sens, nous éloigne de l'expressivité d'un do mineur. L'ensemble de ce second mouvement manque d'unité et les pupitres qui jouaient ensemble jusque là semblent plus indépendants, alors que l'orgue, lui, est parfaitement intégré, tout comme le piano du troisième mouvement, conformément d'ailleurs au souhait innovant du compositeur. Cette réussite difficile est d'autant plus surprenante que dans ce même mouvement les instruments se courent un peu après, surtout dans le thème que les timbales tendent à ralentir légèrement.

Alors finalement qu'est ce qui donne cette impression inhabituelle et agréable ? Certes les faiblesses de l'ensemble ne ressortent que du fait de l'excellence du reste. Car ce qui domine malgré tout c'est une forte impression d'unité, d'osmose. Il faut vraiment prêter attention à l'exécution pour être gêné par les faiblesses. Aussi, c'est en regardant de plus près la réalisation de l'enregistrement que la réponse est apparue… évidente ! Un orchestre et un chef qui se connaissent, un organiste qui joue son instrument cela constitue déjà en soi un élément d'unité. Mais mettre l'orchestre autour de l'orgue dans une prise de son unique et non un mixage stéréo, c'était évident, mais il fallait le réaliser techniquement. Le résultat est là et la force de l'unité, par delà les faiblesses nous captive dès les premières mesures sans jamais nous abandonner.

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