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Philippe Jaroussky: Rigore e crudeltà, airs et cantates pour voix et basse continue


Admiré de tous les mélomanes, la réputation du jeune contre-ténor n'est pas surfaite. Il demeure un interprète unique, une voix exquise d'une virtuosité exceptionnelle, avec une technique à toute épreuve. L'absence de Marie-Nicole Lemieux, pour cause de maladie, aurait pu être perçue comme une première déception. Il n'en est rien, et même si la contralto québécoise devait participer à des pièces à deux voix, cela n'aurait pas rehaussé la teneur du concert malgré ses affinités dans un répertoire qu'elle a fait sien. Toute la place revient donc à , admirablement servi par des artistes de premier plan : , maître d'œuvre et homme-orchestre passant du clavecin à l'orgue dans un jeu expressif et brillant, Sylvain Bergeron, interprète accompli au théorbe et Amanda Keesmaat au violoncelle baroque.

Venise comme toile de fond, «la monodie accompagnée se présente à partir de 1600 environ comme le véhicule par excellence de la mise en musique de la poésie amoureuse» comme le souligne François Filiatrault dans le programme de la soirée. Retenons la correspondance entre texte et musique dans ces élégies où la tristesse, les atermoiements de l'âme, les tourments amoureux, la passion sont au centre de la pœsia per musica. Selon Adelmo Damerini, «par sa fonction historique, la cantate représente la synthèse de toutes les expériences monodiques du siècle, en favorisant chez les musiciens la puissance expressive et autonome du langage musical.»

Le concert Rigore e Crudeltà est un florilège d'une richesse inouïe, parcours exaltant de la monodie à la cantate, passant de Monteverdi à Ferrari, de Marcello à Vivaldi, de Frescobaldi à Rossi, jusqu'à la découverte d'une compositrice du dix-huitième siècle, Barbara Strozzi. Univers raffiné, où les compositeurs s'inspirent de la haute poésie, de sujets immortels rapprochant les amours des dieux à ceux des hommes. «Qu'on n'aille pas s'imaginer que l'amour apporte le plaisir : le contentement amoureux n'a lieu qu'à un moment donné, et une belle femme, pour finir, n'accorde jamais de roses sans épines», peut-on lire dans Amanti, io vi so dire, de Benedetto Ferrari. C'est invariablement l'amoureux transi, le martyr de la passion, naviguant sur un fleuve de larmes versées pour son amante. Comment résister à cette musique faite de retenue qui laisse libre cours à l'expressivité poétique de l'interprète, à la voix expansive mais toujours liée aux sentiments ? C'est une musique qui s'invente et donne à la poésie toute sa langueur. Ultime concert de la série, Rigore e Crudeltà a été chaudement applaudi par les mélomanes venus en grand nombre à la chapelle de Notre-Dame-de-Bon-Secours. Un moment privilégié pour les amoureux du Baroque.

Crédit photographique : © Clarion/Seven Muses

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