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Così de choc et de charme vu par Willy Decker

Le château de Drottningholm, près de Stockholm, et son théâtre rococo sont le cadre d’un festival annuel d’été depuis 1953.

Entre 1979 et 1991, le théâtre a été dirigé par Arnold Östman, dont on a retenu en particulier le répertoire mozartien. Il est l’un des premiers chefs à avoir fait jouer Mozart sur instruments anciens, d’où une acoustique toute particulière où l’on entend plus les détails de chaque instrument, à la différence de l’option symphonique, qui privilégie un son d’ensemble.

La production est traditionnelle, avec mise en scène classique, Fiordiligi soprano sans peur de l’aigu, Dorabella mezzo à la voix beaucoup plus ronde. La captation déjà ancienne ne restitue pas le meilleur son, mais celui-ci reste convenable. La distribution est entièrement suédoise, à l’exception de l’italien Enzo Florimo dans le rôle de Don Alfonso. Les quatre jeunes chanteurs sont convaincants tandis que les personnages buffa, Don Alfonso et Despina, le sont beaucoup moins. Rien de vraiment choquant, il est vrai, mais un chant assez survolé. Ce sont tour à tour des notes avalées et la justesse qui n’est pas toujours de mise chez Alfonso, une prosodie italienne assez malmenée chez Despina.

Avec cette production du Festival de Drottningholm mais surtout avec son enregistrement plus connu de l’intégrale de Così fan tutte au disque (chez L’Oiseau Lyre, 1984), Östman travaillait à reconstituer ce que pouvait être l’opéra lors de sa création, avec un petit orchestre et des tempi extrêmement lestes, parfois au détriment du propos du livret. On cherchera par exemple en vain la rêverie amoureuse des deux sœurs dans un « Ah, guarda sorella » des plus rapides. Ann Christine Biel, dont ce Così marque les débuts scéniques, interprète le rôle de Fiordiligi avec beaucoup de rigueur. Son chant assez dépouillé fait penser à Elisabeth Schwarzkopf dans le même rôle. Maria Höglind est une Dorabella au timbre mœlleux à souhait, d’un « Smanie implacabili » plein de jeunesse au « E amore un ladroncello » capiteux, invitation au plaisir. Cette édition ne deviendra peut-être pas un DVD de référence parce qu’elle retranche une quarantaine de minutes au troisième opéra du duo de génie Mozart/Da Ponte dont l’air de Guglielmo : « donne mie, la fate a tanti », des morceaux de récitatifs, etc. et que la distribution est très inégale. Elle n’en demeure pas moins agréable et visuellement très plaisante. Bien qu’Östman n’ait pas fait l’unanimité avec son interprétation, sa version recèle de beaux morceaux comme le duo Guglielmo/Dorabella « Il core vi dono » de l’acte II.

Les chanteurs se trouvent là parfaitement dans la tessiture et, ce qui est plus rare, sont bien accordés et « résonnent » ensemble. Les ensembles également, primordiaux dans Così, sont particulièrement soignés, comme l’entier finale de l’acte I par exemple. Et cela n’a pas du être une mince affaire au vu des tempi qu’adopte Östman…

Enfin, la représentation « en costumes » est loin d’être un obstacle à une mise en scène intéressante, avec par exemple un Guglielmo qui doit séduire Dorabella mais ne peut s’empêcher de jeter des regards énamourés à sa fiancée Fiordiligi, fier (et heureux) qu’il est de la voir si bien résister aux avances de Ferrando – même si tout cela n’a bien sûr qu’un temps … Les travaux d’Arnold Östman annoncent ceux de René Jacobs sur Mozart. On est toutefois en droit de rester dubitatif face aux tentatives de restitution à tout prix, restitutions qui s’appuient sur des postulats entièrement théoriques. Reste, loin de ces débats musicologiques, une version bien vivante – choix du chef obligent ! – d’un charme désuet, servie par un duo de sœurs performant et une mise en scène élégante. Et tout cela n’est pas rien !

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