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La Force du non-sens

La forza del destino

En pays germaniques, nous avons pris l'habitude depuis bien des années de nous voir proposer ce que l'on appelle des relectures des grandes œuvres du répertoire lyrique. Certaines sont plus cohérentes, d'autres le sont moins. La nouvelle production de la Force du destin signée que l'Opéra de Cologne présente ces jours-ci, n'est même pas une relecture. Il s'agit plutôt d'un mélange assez indigeste de non-sens et de contresens, sans oublier les moments ridicules ou franchement incompréhensibles. Ainsi au premier acte, nous trouvons Leonora en habit de voyage et chargée de valises dans une sorte de gare. Dommage seulement que le livret demande à son père de lui souhaiter la bonne nuit. Au deuxième acte, Leonora arrive devant le couvent ( ? ?) entourée d'une vingtaine de femmes. Fra Melitone, très gentil, les fait entrer une par une pour ensuite répondre à Leonora que l'église n'ouvrira ses portes qu'à cinq heures du matin. Quelques instants plus tard, Preziosilla est témoin du grand duo entre le père Guardiano (vêtu comme un évêque) et Leonora, avant que Melitone n'aide celle-ci à changer sa robe en habit de moine. Tant pis si Guardiano lui promet que lui seul connaîtra son identité ! Dans cette logique il n'est plus que conséquent que pour son air de la paix, Leonora soit entourée d'un groupe de pèlerins. A tout cela s'ajoutent des décors soit absents soit laids, des costumes sans charme et une direction d'acteurs qui brille par son absence. Voilà ce que nos confrères américains aiment appeler du «euro trash» ! !

Côté musique, il faut d'abord mettre un grand point d'interrogation en ce qui concerne la version choisie. Car pour le prélude et le finale, l'Opéra de Cologne a opté pour la version de Saint-Pétersbourg alors que les autres scènes se déroulent selon la version connue de Milan. Faire découvrir au public une version rare, c'est une chose. Mais le priver de la grande ouverture et du trio final si émouvant sans lui présenter le reste de la première version nous semble dépourvu de tout sens.

Reste l'interprétation musicale. Et là non plus, ce n'était pas le pur bonheur. La direction d', aux tempi pas toujours justifiés, est certes professionnelle, mais manque de relief. chante Leonora – et jusqu'à l'entracte elle nous agace avec ses stridences dès le haut médium et ses aigus criards. Elle nous surprend en revanche, avec un «Pace, pace» intense et touchant. Le rôle de Preziosilla – tour à tour femme politique et domina – a été confié à , mezzo à tout faire de la troupe de Cologne. Par son intelligence musicale et son interprétation nuancée, elle fait oublier un timbre par moments excessivement métallique. Ray M. Wade jr. est un cas à part. La saison dernière encore, l'on a pu l'entendre dans Mozart et Rossini. Et en effet, le jeune ténor ne possède pas les moyens pour l'un des rôles verdiens les plus écrasants. Si le timbre est tout à fait agréable, il tente de paraître plus lourd vocalement (ce n'est vraiment pas nécessaire scéniquement !) en évitant soigneusement toute nuance piano. L'aigu en revanche est souvent forcé et détimbré.

On est plus content des représentants de la clé de fa. Ainsi, campe un Padre Guardiano digne et vocalement irréprochable tout comme qui, en dépit de la mise en scène, parvient à donner du relief au personnage de Fra Melitone. La prestation la plus accomplie nous vient enfin de . Son Don Carlo est crédible à la fois dans la tourmente et dans le désir de vengeance. Mais surtout, il s'avère être un vrai baryton verdien aux graves bien appuyés, au médium charnu et l'aigu particulièrement facile et lumineux lui permet même un sol dièse à la fin de sa cabalette, voire un la aigu pour clore le dernier duo avec Alvaro.

Le public s'est montré peu enthousiaste, il avait visiblement attendu autre chose pour le seul Verdi de la saison.

Crédits photographiques : © Klaus Lefebvre

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